Les Forums

On dit que l'alcool conserve. Enfin, ça se dit. Mais dans le doute, mieux vaut prévenir que guérir. Aussi, ils étaient trois... Trois petits vieux assis autour d'une table de la Biche d'Or. Jaahl les avait toujours vus, sûrement qu'ils étaient parmi ses clients les plus fidèles. Il faut dire que pour conserver leur jeunesse, ils étaient prêts à tout, à boire surtout...
Les voilà donc, discutant, une chope à la main, bien plus alcoolisés que conservés. On les appelait la fine équipe, ils étaient célèbres parmi les vieux Baiens, du temps où Hyry recevait encore des coup de pied plein l'arrière-train. Il y avait Robert, Hemett, Illb et Grattan, tous des petits vieux aux cheveux rares et blancs, aux dents rares et jaunes et à la descente rapide.

Encore une fois, ils s'étaient tous donné rendez-vous à la Biche d'Or de Jaahl. Ils étaient tous présents, à l'exception de Grattan... Ne s'inquiétant pas outre mesure, les trois compères prirent commande, commençant doucement la journée, rien de bien méchant, juste de quoi lubrifier leur vieille gorge, comme ils disaient...

"Allez à boire ! Mais juste de quoi lubrifier nos vielles gorges !" lança Hemett. (qu'est-ce qu'on vous disait ?!)

Une serveuse s'exécuta, apportant trois chopes de la meilleure bière que possédait l'aubergiste.

"Et voilà messieurs, comme d'habitude... Mais vous en avez perdu un non ?"

Tous firent une sombre mine, se regardèrent un instant sans ajouter un mot. Finalement, une fois que Robert eut trempé les lèvres (deux gorgées, pas plus) dans sa bière, il répondit à la serveuse qui était toujours en attente du paiement.

"_M'en parlez pas ma bonne dame... V'là qu'le pov' Grattan s'en est allé dans un mond' qui peut êt' que meilleur.

_Oh... Je... vraiment... je... suis confuse."

Le silence tomba. La jeune serveuse était toute rouge, tellement désolée d'avoir commis une aussi grosse bourde. Elle n'osait plus réclamer la monnaie, mais resta quand même, elle ne saurait expliquer pourquoi.
Ce qui ressemblait à un rire s'éleva doucement à la table, avant que les trois vieux n'explosent de rire.
L'un d'eux tendit quelques sous à la serveuse, lui riant au nez... Encore une nouvelle qui s'était faite avoir.
Quelques minutes passèrent, et les vieux avaient arrêté de rire, et fini leur bière. Grattan n'était toujours pas là. Hemett commença à s'inquiéter.

"_Ben v'là Grattan est aux abonnés absents ? Ca lui r'semb' pas b'en ça ! D'habitud' c'b'en lui l'premier à la taverne.

_Ouais... Faudrait pas qu'il y soit vraiment resté.

_Bah Illb, où tu vas chercher tout ça ?! Tu sais b'en qu'l'alcool ça conserve b'en, il doit êt' en train d'suivre une jolie donzelle... Le temps qu'il finisse son affaire et le v'là à c'tte table même."

L'eau coulait sous les ponts et la bière dans leur gorge, mais Grattan n'arrivait toujours pas.

"_Sacré nom didjou ! Où qu'il est encore fourré çuilà ? Ca s'fait pas d'faire attendre d'la sorte !"

A peine Robert eut-il fini sa phrase que la porte de la taverne s'ouvrit pour laisser entrer Grattan. Le voilà enfin, notre homme... Enfin, ce qu'il en reste. Le vieillard se dirige vers la tablée de ses compères sans même prendre la peine de saluer Jaahl, avec qui pourtant il entretient de si bons rapports...

"Vindiou ! Vous croirez jamais c'que j'viens d'voir !"

Grattan tira la chaise libre et s'assit aux côtés de ses camarades. C'est après une bière, ou peut-être deux, que le vieil homme commença son palpitant récit.

"_Ben, v'là qu'j'm'en allais pour vous rejoind' à la taverne... J'passe par la grand'place, comme d'habitude... Là, y a une belle jeune fillette qu'est passée et...

_Ah bah, qu'est-ce que j'disais ?!

_Non non, c'pas c'que tu crois mon bon gars... Et là, elle laisse tomber un d'ses précieux bijoux. J'l'ai ramassé mais y avait un Milicien sur la place, sinon j'me s'rais b'en gardé d'aller lui rendre.
J'me dirige donc vers l'temple, c'est là où elle se rendait. Y avait là la Khanie qui blablatait j'te sais pas trop quoi avec la fille en question, j'lui rend son bijou et j'm'apprête à partir quand j'vois une hobbit dans l'allée du Temple. Vindiou, j'ai b'en cru halluciner, y a tell'ment longtemps qu'on en avait pas vus à La Baie. Ben bref, par curiosité j'l'ai suivie, elle se dirigeait vers le Sud, elle s'est arrêté devant la caserne de la Milice. J'me tenais à bonne distance, de peur d'êt' attrapé pour cet'histoire d'insultes... Elle arrêtait pas d'regarder la Caserne sous tous les angles, j'ai pas b'en compris c'qu'elle faisait...

C'est là qu'j'ai r'marqué qu'y avait Raymond qui traînait dans la rue... J'ai attendu qu'elle rentre dans la caserne pour aller lui d'mander qu'est-ce qu'elle faisait...
Ben paraîtrait que c'est une Architecte de BoisDoré... Paraîtrait même que ce serait la femme du Maire en personne. Quand j'vous disais qu'les travaux étaient lancés pour de bon, j'avais bon !"

Grattan avait parlé pendant un bon moment, et il commençait à ressentir les effets de la pépie. Aussi, il ne laissa pas le mal gagner plus et engloutit d'une traite le reste de sa chope...

La matinée continua ainsi, les quatre vieillards réunis, buvant allègrement et discutant gentiment.

Dans les ruelles de La Baie, chacun le sait, les rumeurs vont vite, vérifiées ou non... Si Jaahl excelle dans l'art des dires et des bruits de couloirs, c'est parce qu'il a été bien éduqué.
Oui, Jaahl avait bien eu des parents, personne n'en doutait. Si ça se trouve, ils étaient Baiens, dans ce cas là, il aurait hérité de la langue de sa mère. S'ils n'étaient pas Baiens, alors c'est que Jaahl était vraiment très très doué...
Car tout le monde le sait, enfin... On dit que les Baiennes sont les meilleures de tout le continent Odysséen pour ce qui attrait aux ragots. Pour s'en convaincre, rien de tel que d'écouter les conversations de deux grand-mères assises sur un banc de la Nouvelle Place du Marché. D'ailleurs, ce matin, le marché a rassemblé bien des gens et...

"Vous savez c'qu'on dit ?"

La phrase sortit de la bouche édentée d'une femme sèche habillée de noir, sûrement veuve. Elle tenait ses mains noueuses croisées, assise sur un banc en pierre à côté d'une autre antiquité Baienne.

"Nooon ?"

Petite, ronde, les cheveux blancs et frisés, de grosses joues rouges et une petite bouche. Elle ne portait pas d'habits noirs, elle n'était pas veuve... D'ailleurs on dit qu'elle n'a jamais trouvé de compagnon... Hum...
Petite et ronde donc.

"_Et b'en à c'qui paraît, y aurait une hobbit qui s'rait v'nue d'BoisDoré." reprit la veuve.

_Une hobbit ? B'en voyons, y a pa b'en longtemps qu'ils étaient interdits d'séjour, chapardeurs comme y sont. Où va La Baie ?

_Oui... Elle s'rait arrivée par l'quartier Nord. Remarquez c'est normal... Je l'sais parce que c'est l'voisin qui m'l'a dit. J'étais en train d'parler avec la Germaine...

_Mais cette hobbit ? Qu'est-ce qu'elle vient faire là par Vénéra ?" coupa la petite grosse.

La veuve fit la moue, puis regarda autour d'elle. Elle s'approcha de la petite femme aux cheveux frisés pour lui parler plus doucement.

"_Vous faites b'en d'me l'demander. Paraîtrait qu'elle serait là pour diriger les travaux d'rénovations des murailles. Une Architecte ou quequ'chose comme ça.

_Ah ! Ils viennent même nous piquer notre travail !

_Mais c'est pas l'pire ma bonne dame... C'est pas l'pire."

La grosse mamie qui se tenait à côté de la veuve fit de grands yeux ronds. Elle semblait brûler d'impatience de savoir ce qui était pire que les immigrés clandestins du village de BoisDoré. Elle s'approcha de son propre chef de la vieille veuve.

"_Dites moi donc...

_Elle a été vue avec un charmant jeune homme... Un certain Gafeled ou Galet Raide, je sais pas trop. C'est Rudolf qui m'a dit ça... Il l'aurait entendu dire son nom au Tribunal. Il y allait pour comparaître pour une affaire de chapardage d'oeufs...

_Ben dites donc ! J'croyais qu'elle serait au moins honorable c't'hobbit là... Mais non.

_D'autant qu'elle serait mariée avec sa Mère !"

Ainsi, leur conversation continua, allant de surprise en surprise de découvertes en découvertes. Mais elles se rapprochaient toujours, de peur d'être entendues, et bientôt elles étaient collées.
Ce qui ne manqua pas d'attirer l'attention de deux autres commères sur un banc en face...

"_Ben les v'là qui r'commencent ! D'puis qu'son bon mari est mort, la Berthe s'est mise à fricotter avec les femmes. D'autant qui paraît que l'autre a vu défiler les jeunes hommes ET les jeunes filles dans son lit...

_Nooooon ?

_C'est comme j'vous dis ma bonne Paulette !"

Ainsi passaient les journées, sur les bancs de la Nouvelle Place du Marché.