par Un vieux ligoté » 11 déc. 2014, 23:51
« Bonjour tavernier ! »
A pas lents il s'avança dans le lieu muet : Gaara, Seigneur de
l'Arbre à ses heures, à la réputation plus sombre que les profondeurs
abyssales de l'océan, au passé plus sale que le cul de la pire catins
de la Baie... dans son sillage s'entassent autant de morts et
d'estropiés qu'on dénombre de corbeaux sur un champ de bataille, et
c'est ce doux sociopathe qui venait grossir la clientèle du Bouc Rieur
! Toute la lie de la bassesse et de la violence se trouvait réunie
sous mon toit ; une furieuse envie d'uriner me prit au corps mais je
n'osais demander la permission au prince du Chaos d'aller me soulager.
L'ombre de l'albinos m'éclaboussait désormais, m'écrasait ; il me
contemplait et je demeurais incapable de prévoir le flux tranquille de
ses pensées. A quelles tortures songeait-il ? A quels cauchemars, à
quel enfer ? Car assurément un esprit malade comme le sien ne pouvait
connaître le repos.
« Je vais prendre une pinte ! »
Je clignais des yeux.
Il me regarda d'un drôle d'air.
« S'il vous plait tavernier, une pinte de bière et de quoi manger,
articula-t-il de nouveau voyant que je ne réagissais pas. Je vous paye
en espèces sonnantes et trébuchantes ! »
Je lançais un coup d'œil à Eltarion, restant toutefois prudemment à
ma place, aussi fidèle qu'une croix devant sa tombe. Quoi ?! Etait-ce
là les paroles du Loup du Nord ? De celui que j'avais vu obliger ses
victimes à manger leur propre cœur pendant que sa magie impie les
maintenait en vie le temps de l'abominable repas ? Enfin, j'imaginais
qu'il devait l'avoir déjà fait plutôt, tordu et cruel comme il
était... Bref, était-ce une ruse ?
J'étais toujours à blêmir à l'idée de dévorer mon vieux coeur, quand
soudain, les choses s'accélèrent : le vieillard à la masse
accompagnant Eltarion déclara ouverte la séance de ligotage, tandis
que le deuxième réclamait à grand cri mon fameux Spyritus, que
l'albinos fou courrait vider mes réserves d'alcool et revenait bientôt
chancelant et heurtant tout ce qu'il pouvait sous l'effet des boissons
ingurgitées pour me ligoter en personne.
Les pleurs silencieux des enfants dont on avait confié la charge à
un autre malandrin feuilletaient l'atmosphère ; lentement, une flaque
de sang grossissait sous le corps tiède d'Esther ; une mouche furieuse
et zézayante se posa sur la joue hobbite et commença à explorer cet
inerte terrain de jeu. Tout cela, je le percevais avec une rare
acuité. Il est amusant de ressentir cette capacité de l'âme à imprimer
avidement les moindres détails avec plus de zèle que jamais alors même
qu'elle se sait condamnée. Allez savoir à quoi cela sert...
Je sentis les liens de chanvre mordre mes poignets tandis que
l'ancien maître des prédateurs qui empestait désormais le meilleur
alcool du continent fredonnait une comptine d'un autre âge derrière
moi. Je fus alors persuadé d'y entendre les mots « cœur », « manger
vivant » et « mort » perdu au milieu de son souffle démoniaque.
Courageusement je demeurais la bouche close, refusant de me plaindre
qu'il risquait de briser les os à me manœuvrer ainsi, et qu'en un
autre temps je lui aurais bien montré de quel bois je me chauffais.
Des comme lui, le Tueur en avait mangés à la pelle dans sa jeunesse,
mais je n'étais plus le Tueur et surtout, il ne fallait pas que
j'expose les autres à son ire terrible.
« M'seigneurs... j-je... grâce... grâce... m'entendis-je supplier,
j'vous donnerai ma recette secrète pour l'Spyritus, j'vous l'promet
!... Grâce... j'veux pas mourir... j'veux pas mourir... Soyez bons...
J'peux vous garantir l'gîte et l'couvert gratuitement à chaque fois
qu'vous en aurez besoin si vous vous montrez misé... misi... réri...
cordieux avec nous autres p'tites gens !... Pitié, on a déjà tant
souffert... »
Et tandis que j'essayais de sauver ce qui pouvait l'être, Maraneïs –
jeune colporteur doré prometteur du village qui feintait d'être
endormi jusque là - réussit à se glisser subrepticement derrière Yaum,
le vieillard à la masse, plaquant l'acier froid d'une dague contre sa
gorge et lançant quelques menaces téméraires à la face des chiens qui
nous entouraient. Cependant, on ne menace pas impunément le Prince du
Chaos : les paroles glissèrent sur lui comme la pluie sur une armure,
et en réponse sa hache énorme se leva...
*SSSLAAASH !!*
... littéralement découpée en deux, une pauvre voyageuse dont le seul
tort avait été d'être à la portée du sociopathe, perdit quelques
litres de sang et du même coup la vie. L'assistance fut éclaboussée du
fluide chaud de la pauvrette, moi-même j'en reçu quelques
gouttelettes. La moitié du corps resta un instant ridiculement en équilibre,
hésitant à rejoindre sa moitié déjà au sol, puis glissa d'une manière
écoeurante vers mon parquet qui buvait, qui buvait...
La réponse du monstre était claire.
« Par les très révérées burnes d'Ananke, tempêta alors le monstrueux
personnage, je vous avais prévenus !!
- Si tu veux me tuer, tu vas devoir couper ton ami en deux ! rétorqua
vertement Maraneïs en enfonçant un peu plus la pointe de son arme.
- Et alors quoi ? C'est tout ??? cracha ledit « ami » sans peur
visiblement. Sombre merde !! »
Profitant de la diversion, un autre client de l'auberge s'élança
soudain tel un héros vers l'une des fenêtres : il la traversa à grand
fracas à la vitesse d'un gros caillou et s'étala avec la même grâce en
grognant à l'extérieur. Ni une ni deux, il n'attendit pas qu'on le plante
dans le dos pour se relever au milieu des débris de verre et de détaler
en courant. A l'intérieur cependant, la situation demeurait critique :
rien ne semblait pouvoir arrêter la marche du destin et le massacre
qui se profilait.
[A suivre.]
« Bonjour tavernier ! »
A pas lents il s'avança dans le lieu muet : Gaara, Seigneur de
l'Arbre à ses heures, à la réputation plus sombre que les profondeurs
abyssales de l'océan, au passé plus sale que le cul de la pire catins
de la Baie... dans son sillage s'entassent autant de morts et
d'estropiés qu'on dénombre de corbeaux sur un champ de bataille, et
c'est ce doux sociopathe qui venait grossir la clientèle du Bouc Rieur
! Toute la lie de la bassesse et de la violence se trouvait réunie
sous mon toit ; une furieuse envie d'uriner me prit au corps mais je
n'osais demander la permission au prince du Chaos d'aller me soulager.
L'ombre de l'albinos m'éclaboussait désormais, m'écrasait ; il me
contemplait et je demeurais incapable de prévoir le flux tranquille de
ses pensées. A quelles tortures songeait-il ? A quels cauchemars, à
quel enfer ? Car assurément un esprit malade comme le sien ne pouvait
connaître le repos.
« Je vais prendre une pinte ! »
Je clignais des yeux.
Il me regarda d'un drôle d'air.
« S'il vous plait tavernier, une pinte de bière et de quoi manger,
articula-t-il de nouveau voyant que je ne réagissais pas. Je vous paye
en espèces sonnantes et trébuchantes ! »
Je lançais un coup d'œil à Eltarion, restant toutefois prudemment à
ma place, aussi fidèle qu'une croix devant sa tombe. Quoi ?! Etait-ce
là les paroles du Loup du Nord ? De celui que j'avais vu obliger ses
victimes à manger leur propre cœur pendant que sa magie impie les
maintenait en vie le temps de l'abominable repas ? Enfin, j'imaginais
qu'il devait l'avoir déjà fait plutôt, tordu et cruel comme il
était... Bref, était-ce une ruse ?
J'étais toujours à blêmir à l'idée de dévorer mon vieux coeur, quand
soudain, les choses s'accélèrent : le vieillard à la masse
accompagnant Eltarion déclara ouverte la séance de ligotage, tandis
que le deuxième réclamait à grand cri mon fameux Spyritus, que
l'albinos fou courrait vider mes réserves d'alcool et revenait bientôt
chancelant et heurtant tout ce qu'il pouvait sous l'effet des boissons
ingurgitées pour me ligoter en personne.
Les pleurs silencieux des enfants dont on avait confié la charge à
un autre malandrin feuilletaient l'atmosphère ; lentement, une flaque
de sang grossissait sous le corps tiède d'Esther ; une mouche furieuse
et zézayante se posa sur la joue hobbite et commença à explorer cet
inerte terrain de jeu. Tout cela, je le percevais avec une rare
acuité. Il est amusant de ressentir cette capacité de l'âme à imprimer
avidement les moindres détails avec plus de zèle que jamais alors même
qu'elle se sait condamnée. Allez savoir à quoi cela sert...
Je sentis les liens de chanvre mordre mes poignets tandis que
l'ancien maître des prédateurs qui empestait désormais le meilleur
alcool du continent fredonnait une comptine d'un autre âge derrière
moi. Je fus alors persuadé d'y entendre les mots « cœur », « manger
vivant » et « mort » perdu au milieu de son souffle démoniaque.
Courageusement je demeurais la bouche close, refusant de me plaindre
qu'il risquait de briser les os à me manœuvrer ainsi, et qu'en un
autre temps je lui aurais bien montré de quel bois je me chauffais.
Des comme lui, le Tueur en avait mangés à la pelle dans sa jeunesse,
mais je n'étais plus le Tueur et surtout, il ne fallait pas que
j'expose les autres à son ire terrible.
« M'seigneurs... j-je... grâce... grâce... m'entendis-je supplier,
j'vous donnerai ma recette secrète pour l'Spyritus, j'vous l'promet
!... Grâce... j'veux pas mourir... j'veux pas mourir... Soyez bons...
J'peux vous garantir l'gîte et l'couvert gratuitement à chaque fois
qu'vous en aurez besoin si vous vous montrez misé... misi... réri...
cordieux avec nous autres p'tites gens !... Pitié, on a déjà tant
souffert... »
Et tandis que j'essayais de sauver ce qui pouvait l'être, Maraneïs –
jeune colporteur doré prometteur du village qui feintait d'être
endormi jusque là - réussit à se glisser subrepticement derrière Yaum,
le vieillard à la masse, plaquant l'acier froid d'une dague contre sa
gorge et lançant quelques menaces téméraires à la face des chiens qui
nous entouraient. Cependant, on ne menace pas impunément le Prince du
Chaos : les paroles glissèrent sur lui comme la pluie sur une armure,
et en réponse sa hache énorme se leva...
*SSSLAAASH !!*
... littéralement découpée en deux, une pauvre voyageuse dont le seul
tort avait été d'être à la portée du sociopathe, perdit quelques
litres de sang et du même coup la vie. L'assistance fut éclaboussée du
fluide chaud de la pauvrette, moi-même j'en reçu quelques
gouttelettes. La moitié du corps resta un instant ridiculement en équilibre,
hésitant à rejoindre sa moitié déjà au sol, puis glissa d'une manière
écoeurante vers mon parquet qui buvait, qui buvait...
La réponse du monstre était claire.
« Par les très révérées burnes d'Ananke, tempêta alors le monstrueux
personnage, je vous avais prévenus !!
- Si tu veux me tuer, tu vas devoir couper ton ami en deux ! rétorqua
vertement Maraneïs en enfonçant un peu plus la pointe de son arme.
- Et alors quoi ? C'est tout ??? cracha ledit « ami » sans peur
visiblement. Sombre merde !! »
Profitant de la diversion, un autre client de l'auberge s'élança
soudain tel un héros vers l'une des fenêtres : il la traversa à grand
fracas à la vitesse d'un gros caillou et s'étala avec la même grâce en
grognant à l'extérieur. Ni une ni deux, il n'attendit pas qu'on le plante
dans le dos pour se relever au milieu des débris de verre et de détaler
en courant. A l'intérieur cependant, la situation demeurait critique :
rien ne semblait pouvoir arrêter la marche du destin et le massacre
qui se profilait.
[A suivre.]