Oracle

Forum En Jeu de la ville de Balamoun
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Shanys
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Enregistré le : 20 juil. 2009, 18:58

Oracle

Message par Shanys »

Un nouveau matin se levait sur le monde. Le vieux Père Soleil étendait ses premiers rayons sur le campement nomade. Les tentes chamarrées, noyées dans une fine brume de sable, avaient une allure de fête foraine fantomatique. Al sayal, la pluie de sable qui annonce le matin.

Le camp s'animait doucement, chassant sa langueur nocturne. Les bêtes parquées s'ébrouaient. Le murmure des prières marquait le début de cette nouvelle journée. Bientôt, on démonterait les tentes, les simples abris des célibataires comme les échaffaudages compliqués des clans familiaux composés de plusieurs pièces dont les multiples draperies évoquaient la mâture d'un vaisseau encalminé.

Dans un de ces navires du désert, Shanys était assise en tailleur sur une natte fatiguée, entourée de bédouines baillant à s'en décrocher la mâchoire. Le parfum du café que la maîtresse de maison servait maintenant était bien agréable.
D'une pièce voisine, les cris perçants d'un nouveau-né déchiraient le silence. Shanys étira ses muscles douloureux. L'accouchement avait été difficile et avait donné bien du mal aux femmes du clan et à la jeune Sectaire venue les assister, prier, et bénir.
Pour l'occasion, on n'avait bien sûr pas fait appel à un Embaumeur mais à une Sectaire. La distinction entre les deux branches des prêtres d'Hôrosis se faisait mal hors des limites du pays, comme Shanys l'avait constaté. Pour la jeune Sectaire, une naissance, en plus d'être un évènement important dans la vie de ses ouailles, était un témoignage d'une haute signification religieuse. Hôrosis avait jugé une âme, ne l'avait pas dissoute dans le néant mais renvoyée dans ce monde. Cette âme devait être accueillie comme il se doit.


- Nous vous avons privée de sommeil, dit la femme en répartissant les tasses.

- Passer une nuit éveillée, c'est ajouter un jour à sa vie, répondit Shanys en citant un dicton populaire.

Elles devisèrent un long moment en savourant le café. Loin d'un bavardage soutenu, c'était une conversation peuplée de silences, de regards, de gestes qui valaient toute une phrase à eux seuls. Les farouches gens du désert sont économes de leurs mots, autant que de leur eau. Puis Shanys prit congé.

Engourdie, elle ne retrouva pas le chemin de la sortie dans ce monde de toile, sans repère. Passant près d'une pièce, elle fût interpellée dans un dialecte qu'elle maîtrisait mal. La voix était aussi vieille et fragile que la main qui dépassait d'une tenture, l'invitant à entrer. Intriguée, la jeune Sectaire écarta le tissu et se baissa pour passer.

Une antique lampe à huile répandait une très faible lumière. L'huile, de mauvaise qualité, donnait une flamme lourde et fumeuse. Les yeux fatigués de Shanys ne distinguaient pas grand-chose, ni des objets ni de l'occupante des lieux. Il était clair néammoins que celle-ci était très, très âgée. La doyenne de la famille, très certainement. Shanys la salua avec tout le respect dû aux générations. Elle semblait modelée de parchemin fragile, n'étaient ses yeux noirs, au regard aussi vif et pénétrant qu'au printemps de sa vie. Elle parla d'une voix éraillée, teintée de l'autorité que lui conférait sa position.


- Tu es venue pour la naissance. La vieille Néférou le sait, même si personne n'a pris la peine de l'informer...

- Sans doute as-t'on voulu respecter votre repos, Aînée.

- Sottises ! A mon âge, on ne dort plus. On attend. Approche que je te voie mieux. Tu as la voix d'une enfant.

Shanys se soumit à l'examen inquisiteur de la douairière. Après un long moment, l'ancêtre rendit son verdict.

- Tu n'as pas le port de tête d'une citadine. Malgré ta belle toge, tes parents sont du Sable, n'est-ce-pas ?

La prêtresse acquisça, cita son nom et sa lignée, et la vieille émit un grognement satisfait, autant par la réponse que pour avoir montré sa sagacité. Tendant un bras maigre, elle ramena un petit coffret de bois qu'elle ouvrit. Ses ongles se refermèrent sur son contenu : une pile de longues cartes aux motifs compliqués. Shanys sourit. Le Tarot du désert. L'antique coutume des cartes frappées de deniers, de calices, d'épées et de massues, symbolisant bourgeoisie, clergé, noblesse et peuple, les quatre ordres fondamentaux. D'autres figures ornaient les cartes maîtresses. Elle reconnût le Puits, la Balance... Tandis que son hôte battait les cartes et en disposait trois devant elle, Shanys porta une main à son front. La fatigue d'une nuit blanche et les fumigations de la lampe commençaient à lui donner mal au crâne. La vieille tapota les cartes. Elle avait tiré le Deux d'épées, entouré de basses cartes.

- les nobles entourés de la plèbe, nombreuse, travailleuse, silencieuse... Voyons un peu... La Roue de feu coupe le Sept de calices. Le Petit neuf est sous le Chien...

Le temps passait. Les paupières de Shanys étaient lourdes. Les fumées semblaient prendre des formes distinctes, s'évanouissaient, se reformaient en de nouveaux tableaux. L'huile de cette lampe avait une curieuse odeur... La jeune Sectaire se secoua. La femme avait posé une question. Son doigt était posé sur deux cartes. Plissant les yeux, Shanys reconnût le Lys près du Puits.

- Sais-tu comment le peuple appelle ces prêtres qui quittent les dorures et les marbres de la Cité Sacrée pour s'établir chez les simples gens ? On les nomme "Shadout". "Celui ou celle qui creuse le puits". Ceux qui délaissent une vie aisée pour apaiser la misère des pauvres, pourvoyant à tout ce qu'ils n'ont pas, étanchant toutes les soifs du corps et de l'âme, chassant toute les brûlures, les accompagnant sur leur chemin vers Hôrosis...

Shanys de sentit prise de vertige, de faiblesse, tandis que les mots de l'ancienne marquaient son âme. Qu'était-elle en train de faire ?

- Ce sera ta vie, ma fille. Tu gagneras ton pain sur les chantiers, comme les humbles. Les cals sur tes mains seront des signes qu'ils reconnaîtront, quand tu leur tendras un remède. Tu apprendras les philtres qui soignent. Tu enseigneras à leurs enfants. Tu vivras parmi eux, bénissant leurs joies et leurs peines. Et ils diront : c'est nôtre prêtresse.

Les tentures, la lampes, les cartes, tout tournoyait dans la tête de Shanys, qui ferma les yeux, sans force. Elle eût le temps de sentir deux mains frêles qui la saisissaient aux épaules pour l'étendre doucement.

- Dors, à présent. A ton réveil, nous parlerons. Nous parlerons...
...et la petite fille semblait née l'instant d'avant, pétrie d'argile blonde, modelée d'une poignée de désert
Shanys
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Re: Oracle

Message par Shanys »

Dans la chaleur écrasante, un homme parcourt lentement le quartier pauvre, chargé d'outres pleines. De temps en temps, il lance un cri lancinant "Chaaaa-ha-rabaaa !" le vieux mot pour "boire", signalant à chacun qu'il est marchand d'eau. Il sait qu'il a peu de chances dans cet endroit déshérité et n'insistera pas, car un peu plus loin est le souk, puis le quartier riche où on dépense pour montrer qu'on le peut. Ici, c'est la misère, partout. Elle suinte des murs, vous colle aux yeux et aux sandales. Une misère digne et d'autant plus dérangeante.

Sur la terre battue, une fillette joue avec une vieille toupie de bois aux couleurs passées. Vêtue d'une étoffe grossière, les pieds nus et la tignasse emmêlée, elle n'accorde pas un regard à l'homme, toute entière à la toupie qui grave un cercle devant elle. Le marchand d'eau s'arrète un instant.


- Ton père n'est pas là, Souher ? Tu en as une jolie toupie.

- Elle est à moi. C'est la prêtresse qui me l'a donnée.

- La prêtresse ? Où est-elle, cette prêtresse ?

- Elle est partie nettoyer le dispensaire. C'est quoi un dispensaire ?

- Un endroit où on soigne les gens. Elle nettoie le dispensaire ?

Intrigué, il laisse l'enfant à son jeu et poursuit son chemin. Nettoyer le dispensaire... Ca fait des années que l'endroit est à l'abandon. Il n'est pas bien loin. de mémoire, c'est... Oui c'est bien là. Il risque un coup d'oeil. Il y a bien une prêtresse, maniant le balai avec des femmes du quartier. Elle a l'air bien jeune. Ils recrutent au berceau. Il ferait beau voir que sa propre gamine s'entiche de devenir prêtresse au lieu d'aider sa mère à la maison. Qu'Hôrosis nous protège des lubies de nos drôlesses !

Ah, elle a terminé. Que dit-elle ? L'état des puits ? Qu'est ce qu'elle vient s'occuper des puits ? Elle va lui gâcher le commerce. Si le clergé vient mettre son nez dans les puits du quartier pauvre... Non. Elle se fait des illusions, cette gamine. Quoi maintenant ? Les malades ? Gratuitement ? Fais pas bon rester là si tous les éclopés vont défiler.

Il reprend son chemin, lançant çà et là son cri, secouant la tête. Les premiers étals du souk apparaissent au bout de la rue. Il ne faudra pas longtemps pour que les marchands apprennent qu'une prêtresse a distribué des jouets aux mômes du quartier pauvre, rouvert le dispensaire et s'est mise à se mêler de tout.
...et la petite fille semblait née l'instant d'avant, pétrie d'argile blonde, modelée d'une poignée de désert
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