Ouverture des portes de la Baie

[Jouvain de Ney (via le MJ)]

L'aspirant Lettré s'inclina devant le Juge, un sourire béat sur la figure. Puis, sans mots inutiles, quitta l'assemblée en restant le plus digne possible. Mais le hall du Tribunal n'en finissait pas devant son pas mesuré, et sa joie contenue commençait à lui chatouiller la colonne vertébrale. Il pressa la cadence peu à peu, et sortit du bâtiment de justice quasiment au trot. Sur les marches de l'édifice, il laissa sa liesse éclater dans un hurlement de rire hystérique, presque animal. Le milicien de garde et les promeneurs le regardèrent se gondoler sans comprendre. D'aucuns pensèrent que ce pauvre diable avait définitivement perdu l'esprit, à rire devant le crépuscule et les milles malheurs de la Cité Blanche, Joyaux du Sud.
Mais, le souffle court et la face rougie, Jouvain n'était pas fou.
Sauf peut-être de joie. La décision du Juge ne pouvait signifier qu'une chose : la Baie était sauve! Terminés les saluts lointains, de peur d'être contaminé. Terminés de se barricader chez soi, craignant qu'un malade au dernier degré ne sombre dans la folie, dehors. Terminé de devoir tâter ses membres tous les matins redoutant les premiers stigmates du Mal. La Cité en avait bientôt fini avec tout ça, ou presque. Jouvain reprit son souffle et se dressa, pour crier ce que tous espéraient.

-"N'ayez plus peur! N'ayez plus peur, citoyens! La Baie ne seras pas ensevelie sous la Maladie! La Baie est libre! Vivez sans craintes, mes amis!"
Cette déclaration finit de convaincre les badauds de la folie de l'aspirant Lettré, et plusieurs serrèrent le poing, ravis qu'ils auraient été de lui apprendre à se montrer plus respectueux du deuil d'autrui. Ceci dit, hors de question de le frapper : son esprit n'était peut-être pas le seul malade...
Jouvain n'eut cure des réactions de la foule. Souriant jusqu'à la grimace, il dévala les marches de marbre et se rua le long de la rue, les gens s'écartant prestement de son passage, peut-être infectieux.
Il atteignit la place en quelques foulées mais ne s'attarda pas, et s'engagea vers les quartiers pauvres du district nord. La nuit tombante avait ameuté son lot de filles de joie au regards chassieux, alanguies contre les murs ; et quelques proxénètes en herbe trainaient leurs savates, sans oser molester leurs gagneuses désoeuvrées. Trop de chance de tomber sur une malade. Jouvain ignora quelques propositions
pour le moins courageuses, et continua sa course en exhibant son médaillon de fonctionnaire du Tribunal de la main. Jamais trop prudent. Enfin, la Porte du Nord se dressa devant lui. Fermée, massive, lugubre. Mais plus pour longtemps. Un milicien mal rasé émergea de sa guérite et lui cria de s'identifier. Ce que fit Jouvain avec un plaisir manifeste, moulinant beaucoup des bras afin que son médaillon capte le regard de l'homme d'arme plusieurs fois. A la question de savoir ce qui l'amenait, Jouvain se retint de pouffer de plaisir. Bien mal lui en aurait prit, il en avait conscience.

-"Ben mon gars, c'est sa seigneurie l'Juge qui m'envoie. Figures-toi qu'on va ouvrir cette fichue Porte!"

Devant le sceptiscisme du garde, Jouvain lui expliqua que s'il n'était qu'un menteur (ce que son insigne de fonctionnaire devait théoriquement démentir), tous s'en apercevraient bien assez tôt pour lui régler son compte. On ouvre pas une porte aussi massive sans un
bon boucan de derrière les fagots. Par contre, s'il disait vrai, refuser d'ouvrir serait rien de moins qu'une obstruction à la volonté du Juge... ce qui ne promettait rien de plaisant pour ce milicien trop zélé. Rapidement, ils se mirent d'accord, et le milicien en pleine confusion l'aida docilement à pousser la lourde porte. Les grincements des gonds énormes ne tardèrent pas à rameuter toute la gente du
quartier, qui assaillit le garde de questions... tandis que Jouvain rebroussait chemin d'un trot allègre, excessivement fier de lui. Il avait l'impression d'avoir touché de près à l'Histoire, ce que les clameurs joyeuses derrière lui tendaient à confirmer.

La Baie était sauvée, et ses terribles portes, ouvertes.

[Page du Tribunal]

[Un jeune page sortit du tribunal en courant. Il manqua de renverser une vieille dame qui passait par là. Il repéra facilement où se placer pour être vu et entendu de tous. De tous ses poumons, il s'exclama]

"OYEZ OYEZ ! POPULATION DE LA BAIE !
LE VENERABLE ZORAM LUTAREN VIENT DE DECLARER LES PORTES REOUVERTES... MAIS IL TIENT A VOUS METTRE EN GGGAAARRRDDEEEEE..."

[Il reprit sa respiration]

"LA MALADIE EST ENCORE LA ! PRENEZ GARDE ET AU MOINDRE SIGNE, VENEZ QUERIR DE L'AIDE AU TRIBUNAL !

[Sa gorge était déjà bien sèche, et il fila discrètement chez Jaahl avant de retourner au travail]