[HISTOIRE] Une jeunesse pas comme les autres

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Un Tueur

Re: Histoire - Une jeunesse pas comme les autres

Message par Un Tueur »

***** Une victoire amère, qui est le dindon de la farce ? *****



Épuisé, je prenais un énième couloir en trainant tristement des
pieds. Je n'en pouvais plus, cette fuite n'avait aucun sens, je
finirais mort de soif ou d'épuisement avant d'avoir trouvé la sortie
de ce maudit labyrinthe. Ou bien ce serait la folie qui me mettrait la
main au collet. Ou la gamine démoniaque qui avait déjà ravi deux de
mes compagnons. Sans que le froid n'en fût la cause, je fus pris d'un
long frisson au souvenir de ce qu'il s'était passé ce qu'il me
semblait il y a une éternité ou deux déjà.

J'avais abandonné Bragon.

La voix dans ma tête n'avait pas duré bien longtemps, les lèvres
invisibles s'étaient insidieusement décollées de mon oreille, le
silence les avait remplacées. Ou plutôt un vide. Un vide terrifiant.
Un abîme dans lequel ma raison avait manqué de se perdre. Ma tête
refusait de comprendre ce que mon coeur lui hurlait en pleurant :
Saël, la belle Saël, l'étoile de mes jours avait succombé aux griffes
de la créature hantant ces souterrains. Quand je trouvai le courage de
ne pas basculer définitivement dans la folie, la conscience de mon
corps et de ce qui m'entourait me revinrent peu à peu et je constatai
- effaré - que le barbare me secouait pire qu'un prunier : j'avais les
gencives en sang et une dent manquait déjà à l'appel. Cette brute
épaisse n'avait rien perdu de sa poigne ! Dès les premiers mots
hoquetés à grand peine, il me lâcha et s'écarta d'un pas pour me
laisser respirer et masser un cou douloureux que l'on avait bien
failli déchirer en deux.

Quand de longues minutes plus tard je tentai de lui raconter mon
expérience, il me fit signe de me taire ; je n'insistai pas… j'avais
lu dans ces yeux que c'était inutile. Il savait. Avait-il lui aussi
entendu l'enfant dans sa tête ? Avais-je donné toutes les clefs pour
comprendre la situation dans mon délire ? Ou bien simplement son lien
avec la pauvre Saël était plus fort que je ne l'imaginais… cette
question devrait me hanter des années durant. La culpabilité aussi.
Son expression était impénétrable, mais je n'oublierais jamais
l'intensité de son regard. Une colère froide, une détermination à
fendre les montagnes… et une douleur indicible. Je ne le reconnaissais
plus.

Il avait ramassé avec lenteur sa hache puis s'était mis face au
couloir, dans le sens opposé à notre marche, en rempart contre
l'Abominable. Il ne prononça que deux mots. « Va » et « Minus ». Des
mots presque doux pour un tel homme. Sans doute se savait-il condamné,
peut-être avait-il senti que ses dernières forces se consumaient, il
ne voulait pas être un poids pour moi (ou alors il avait peur des
représailles pour ma dent cassée ? je ne sais). Toujours est-il qu'il
fit le choix de rester et moi je m'éloignai honteux sans réussir à me départir
de l'idée que je l'abandonnais à son sort. Une fois je me retournai.
Il était là où je l'avais laissé, de dos, impressionnant et immobile.
Il paraissait invincible dans cette posture, un roc de muscles et de
détermination qui aurait traversé les âges et les époques sans rien de
plus que quelques éraflures, inébranlable. Toutefois, j'avais savais quelle mort
rampait dans ses veines. Je lui jurai en criant que je reviendrais le
chercher. Seul l'écho me répondit. Un écho sonnant plus faux que des
mots d'amour dans la bouche d'une liche.




Je pris un nouveau conduit, sur ma gauche cette fois ci.
Combien de temps errai-je ainsi ? Je ne saurais le dire en vérité.
Après la tristesse, c'est le désespoir qui avait installé ses
quartiers dans mon coeur. Puis, lui aussi se lassa de moi et me laissa
aux mains d'une amère et glaciale résignation. Rien ne comptait plus
que de marcher, marcher, marcher… qu'importent les heures,
qu'importent les larmes, qu'importe ma probable mort prochaine ! il
fallait marcher. Et puis soudain, au détour d'un couloir, un mouvement
furtif parvint à mon regard.

Un papillon.

Bleu, magnifique et fatigué.

Il me ressemblait cet insecte providentiel et ses ailes me
dévisageaient en frémissant. Asrélia avait dû entendre mes prières, à
moins qu'il ne se fût agi de l'âme de Saël elle-même venue me guider
dans ces enfers ! Enfin la chance tournait.
Hypnotisé, je décidai de le suivre aveuglément, jetant avec
allégresse sur ses frêles ailes mon maigre espoir ressuscité… et il le
porta avec ô combien de vaillance ! A son rythme tranquille et
virevoltant, il me conduisit au travers des tunnels, au travers de la
perdition. Plusieurs fois je m'arrêtais à bout de force, plongeant
avec terreur dans le sommeil que je ne pouvais plus éviter. A mon
réveil, il était toujours là. Il était le fanal qui m'avait tant
manqué, il était la lueur qui guide l'égaré au fond d'une nuit sans
lune… et je m'y accrochais désespérément.


Enfin un jour, je sentis un courant d'air frais sur mon visage et
les senteurs de la forêt emplir ma narine. J'avais réussi.
C'est ainsi que je pus enfin m'extraire du ventre de la terre. Une
deuxième naissance en quelque sorte.

Vous n'imaginez pas à quel point la lueur du jour me fit plaisir…
j'en pleurai durant de longues heures. Puis je descendis la montagne.
Curieusement, alors que nous n'avions presque fait que nous enfoncer
toujours plus en avant dans les profondeurs du sol, je m'étais
retrouvé des centaines de mètres plus haut que l'entrée de la grotte.
Quand je retrouvai enfin cette dernière, un écoeurant spectacle m'y
attendait.

Le monstre du Mont Noir.

Sans doute en prenant bien moins de détours que moi, il avait trouvé
la force de venir mourir au soleil. C'était une sorte d'ours
gigantesque – bien que l'anatomie de sa tête soit différente, plus
fine et agressive et percée d'excroissances luisantes… vraisemblablement
quelques malformations de naissance ? - au pelage sombre et
inquiétant. Il gisait au sol et pourtant il eût fallu que je montasse
sur les épaules d'une tierce personne pour pouvoir regarder par-dessus
lui. Sa gueule était effrayante et hébergeait une quantité tout aussi effroyable
de crocs tous plus longs qu'un bon poignard. Et l'odeur… Elle n'était
pas uniquement dû à la carcasse de cerf que je devinais plus loin et
qui ne m'avait pas attendu pour continuer à pourrir.

De toutes les blessures du monstre, celle du flanc gauche était sans
doute la plus mortelle. Je reconnaissais là l'oeuvre de Bragon. Le
combat avait dû être épique, je trouvai a posteriori que le barbare
s'en était sorti à très bon compte. Il avait semblait-il porté
plusieurs coups au même endroit, déchirant d'abord le cuir, labourant
l'épaisse couche de graisse de la créature puis défonçant les côtes
sans pitié. Une partie des entrailles avaient été mises à nu et le
pauvre animal avait dû les trainer derrière lui dans la poussière tout
le long de son parcours (j'en avais mal pour lui). Des centaines de
mouches et d'asticots grouillaient sur la chair, bourdonnant à qui
mieux-mieux, pondant par ci, éclosant par là. Et le pire dans
l'histoire, c'est que l'agonie du monstre n'était pas terminée.


Je vomis.




Une demi-lune plus tard je rejoignis le village qui nous avait
engagés. J'avais récupéré dans ma besace l'un des crocs de la bête
comme preuve de la réussite de notre mission.
Après avoir hésité longuement, j'avais finalement planté dans un
bout d'intestin relié au ventre du monstre - suffisamment éloigné des
griffes et de la gueule toutefois, on est jamais trop prudent - deux
des graines mortelles que j'avais gardées dans l'une de mes poches.
L'agonie avait duré encore deux jours le temps que le poison fasse
effet.

C'est ainsi que je vainquis la pire menace de ses terres et que
j'acceptais ce terrible surnom qui fit ma renommée : le Tueur.
Pourtant ce soir là, tandis que les coeurs étaient à la liesse et à
l'alcool, un goût amer me restait en bouche et je ne participai pas
aux réjouissances. J'avais trop perdu dans l'affaire : un amour et
quatre compagnons de route, quatre amis. J'ignorais ce qu'était devenu
Scipio l'Ambigu et le rôle exact qu'il avait tenu dans l'histoire,
j'ignorais toujours qui était cette gamine au regard étrangement vieux
(dont j'avais tu l'existence aux villageois pour ne point les effrayer
et les voir peut-être réduire ma prime), et par-dessus tout : je
devinais que cette histoire avaient des racines profondes et
lointaines et qu'il valait mieux ne pas trop s'en approcher.



Le lendemain, aux premières lueurs de l'aube je repris la route. Nul
ne vint me dire au revoir, le village cuvait son mauvais vin et
dormait du sommeil des ignorants.



***** Fin.... *****
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