[Récit - 1] Le jeu de l'elfe [Chroniques de la Charmante-Vie]

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Eymindalë Lomorwenn
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[Récit - 1] Le jeu de l'elfe [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Marcher en rendant son pas lent et lourd, pour imposer la peur et par elle, le respect. Élargir les épaules, bouger lentement le tronc, pour faire face aux regards et rendre palpable la colère froide et déterminée qui palpite sur vos bras, à la pliure des coudes…
Tout ça ne rimait à rien. Eymindalë voulait que ses semelles fassent des bruits de glas, mais ça faisait sploc-sploc, puisqu’ici, c’est la boue. Eymindalë était aussi sylvaine et gracile, une danse mouvante, or seuls les monolithes faisaient craindre leur approche. Elle se souvenait encore comment, d’une idée folle, la Charmante-Vie lui soufflait qu’après y avoir réchappé de peu d’un pogrom, sa destinée, c’est sûr, c’était de se lier à Brumevent et de se faire conteuse, elle à qui tous les bardes lui faisaient serrer les fesses, et même les dents, aussi.

Ah, foutue Charmante-Vie !

Alors elle faisait sploc-sploc, et souriait subtilement, présentait sa tresse et son visage avenant à ces bouseux d’humains qui n’en demandaient pas tant, pour la haïr, la…

— Hé vous, votre gentille elfe, venez donc voir par là, on a un secret pour vous, promis, vous regretterez pas !

« Par là », c’était dans une ruelle où rien qu’à y regarder, on devinait le son des jolies gorges tranchées, les oreilles juste avant, ou peut-être, qui sait, après. Parce que ses oreilles étaient trop belles, mais surtout trop différentes, ils s’en cognaient pas mal qu’elle porte la broche au papillon qui la disait conteuse et donc, reliait à leur comtesse.

— Écoutez, j’aimerais bien, mentait-elle moins bien que de coutume, mais je suis attendue chez Anathemna, alors, ce que je vous propose, c’est ça : vous m’y rejoignez, on boit, c’est moi qui vous invite, et puis on cause aussi. Je vous serais toute ouïe.

Elle agita ses orteils dans ses bottes, réalisant que ses derniers mots n’excitent leur soif de haine, de colère et de sang. Sur son aine gauche, la constellation alignée de cinq points bien dégueulasses lui rappelait ce que ça faisait de se faire trouer à la fourche.

En poussant la porte de la taverne, elle vit que c’était vrai : Anathemna, cheveux noirs et regard comme il faut, était belle, toute éphémère qu’elle était. Il y avait sur un mur un emblème franchement moche, peint à la va-trop-vite, et pas par un artiste. La tenancière lui dit bien vite que c’était là le souvenir laissé par ses ravisseurs.
Au comptoir, un gaillard, ancienne recrue du Fort, maugréait son alcool sans saouler jamais la perte de son œil.

Un regard à la porte.
Ses courtisans du dehors, qui promettaient sans le dire une fin de vie pleine de boue et de sang chaud, ne venaient toujours pas. Eymindalë goûtait l’ombre que ça projetait sur elle.

Au moins ils faisaient des gosses. Des marmots se chamaillaient autour d'une table, délaissés par leurs géniteurs certainement trop occupés à se laisser aller aux joies d’une grosse cuite, pour oublier leurs jours durs à en chier.
Et se souvenir, enivrés, comme ce serait bon de me tuer.
Les bambins se faisaient toujours plus turbulents. Leurs attentions semblaient se tourner sur l'un d'entre eux, martyr désigné. Les autres entonnèrent alors en cœur.
— C'est Pépin ! C'est Pépin ! C'est lui l'elfe main'nant !

Et les petits morveux se mettaient à rire de plus belle, évitant le Pépin comme un pestiféré et évacuant la table prestement. Le… prétendu… elfe, quant à lui, se mit en chasse d'un de ses compagnons les plus gras.
— Naaan ch'uis pô elfe, c'est toi main'ant !!

Charmante-Vie, tu t’es bien fichue de ma tronche en me faisant croire que j’avais une destinée ici...

Pépin s'éloigna du grassouillet, nouvel elfe – vous ne connaissez vraiment pas les elfes – tout aussi vite que les autres. Leur terrain de jeu s'élargit alors rapidement à d'autres tables d'ivrognes. Le nouveau chasseur avait cependant plus de peine à endosser le rôle et suait de plus belle.
— Rooh, mais c'est toujours moi qui finit elfe, y'en a marre à la fin !
Te plains pas, petit d’homme, si tu veux bien faire l’elfe. La dignité, c’est la seule chose qu’on ne pourra jamais te prendre, si tu ne la donnes pas.

Les autres mioches laissaient échapper un rire strident, bien incapables de prendre pitié pour l'enrobé.
— Hihihi ! Courez, courez, sinon il va nous manger !

Ça fit hausser un sourcil sidéré à Eymindalë, qui reprit sa conversation avec Anathemna.
Après quelques courses pleine d'éclat, leurs curiosités conjuguées furent finalement piquées par la conversation de la tenancière et la désespérante inefficacité de leur camarade qui faisait désormais du sur-place. Ils discutèrent alors entre eux, mais l'unanimité ne semblait pas être dans leur groupe. Quelques paroles s'échappèrent de leur conciliabule.
— Moi j'le trouve zoli !... Moi pô, l'est tout moche ce dessin !
— ...Pi pourquoi qu'elle veut l'effacer ?!
— ...Pi pourquoi qu'le servant lui donne pô la serpillère ?!
— ...une elfe...
— ...Moi, j'ai faim !
— Hé, tu t’appelles comment ?

Pépin, l’air bourru et plein de défi, la dévisageait comme s’il allait grandir, d’un coup, et pouvoir sécher ses grolles sur son fringuant minois.
C’est comme ça qu’on apprend le doux goût des lynchages ?
En papillotant brièvement sur les tablées de Brumois aux airs maussades entre deux plaisanteries sombres, Eymindalë trouvait dans les regards que nombre d’entre eux lui vouaient des éléments de réponse : des pupilles mauvaises pour elle, des éclats fiers pour la bravade du mioche.
Modifié en dernier par Eymindalë Lomorwenn le 02 mai 2022, 08:25, modifié 2 fois.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Le jeu de l'elfe (Chroniques de la Charmante-Vie)

Message par Eymindalë Lomorwenn »

La sylvaine soupira. L’espoir, ce crépuscule...
En cillant et recillant, elle détaillait les gosses. Ce boucan de Pépin la toisait, mains sur les hanches, en la défiant de répondre, pendant que d’autres se cachaient.
— Je m’appelle Eymindalë. (Elle vit ce que la prosodie de son prénom faisait sur leurs airs perplexes.) Mais appelez-moi Eymi.

C’est un signe, Charmante-Vie, ce traquenard de morveux ? Elle le savait, bien sûr. Alors, en sylvaine, elle sourit. C’était le clair-de-lune qui brisait la nuit noire, la brise apaisant le cou rougi par un ciel fait de plomb.

— Oh, les mouf… les enfants, vous voulez une histoire ? Parce que j’ai entendu la vôtre, celle que les elfes, ils mangent des gens, ça c’est une fausse histoire. Et puis vilaine en plus. J’en ai des bien plus belles, je vous le dis. C’est vrai ! (Ça avait l’air de marcher.) Mais pour bien faire les choses, il faut qu’on se connaisse, pour me souvenir de vous.

Elle fit ce qu’elle savait bien faire : laisser un silence souligner son sourire, sa façon d’être à la fois inaccessible comme une diva, tout en ayant l’air d’être, pour peu qu’on le veuille, cette amie chère, inaccessiblement proche.
Les enfants brumois répondirent à la sylvaine avant qu'elle ne commence son histoire, clamant leurs noms dans un désordre emprunt d'excitation.

- Moi, c'est Pépin !
- Baldor !
- P'tit Gaud !
- Jobert !

Les noms s’enchaînèrent encore dans un récital cacophonique. Difficile de calmer la petite troupe. Alors, Eymindalë fit « hmm ! » et débuta son art. Elle plissa les yeux, paraissant dénicher, dans un imaginaire paraissant transpercer le mur, des protagonistes.
— Je vais vous raconter comment la tortue Caroline a triomphé du chasseur Karamanga. Karamanga !…

Elle l’avait prononcé comme si c’était une incantation frémissante. Les bambins se turent d'un seul coup, pris de stupeur.

— Connaissez-vous la légende sombre du Chasseur-dévoreur ?
Karamanga !… (Encore cet artifice d’ambiance, redoutable.)
Une terreur. Et Caro l’a eu, oui.
Karamanga…

(Ses yeux plissés, jouant la tension, l’appréhension, cherchaient au-dessus de leurs têtes, perçant le bois vers des horizons de brumes antiques, souffle suspendu, gestes ralentis ; puis, elle se redressa, entamant son œuvre, après l’avoir installée.)

– Il se disait chasseur mais était dévoreur
Il se disait chasseur mais il était la Peur (la majuscule, on l’entendait)
Son unique labeur, c’est d’être persécuteur
Il incarne le malheur, Karamanga le tueur

Le vrai chasseur est sage, il prélève et préserve
Karamanga : carnage ! il enlève et conserve
Il tue pour le plaisir… Points de suspension, frisson !
Il tue pour se saisir… Points de suspension, frisson !
Il tue, on l’entend rire : Karaboum, graf, gra-ir !

(Elle tendit l’oreille, comme si on l’entendait en gros balourd.)

- Il tue, sans coup férir : babadoum, paf, ahr-irrr !

(Les deux dernières onomatopées en tirant la langue, comme une chétive occise.)

- Shanya ne l’aimait pas, car il était sans loi
Moquait l’ancienne croyance interdisant l’assaut
Commis sans la sapience, sans le respect aux bois
Aux femelles mettant bas, aux plus frêles des cuissots

Chaque soir, rom-pom-tom-pom !
Il les traînait, ba-roum ba-roum !
Ceux qu’il tuait, crac-boum crac-boum !
Aux rôtissoires, grom grom grom grom !

Et le matin, rin-tin-tin-tin !
Recommençait, ba-roum ba-roum !
Il massacrait, crac-boum crac-boum !
Pas qu’les lapins, graoum graoum !

Les os craquaient (gollum gollum)
Et il riait : arf arf arf groum !
Le sang coulait : il faisait gloum !
Il flatulait : pétoum pétoum !

Alors Ca-ro-li-ne, la tortue not’ copine
App’lait sur la colli-ne les animaux apeurés
Alors Ca-ro-li-ne, la tortue not’ copine
Comme elle était coquine leur dit : « oui moi je l’aurai !

Mais je vous le dis amis
Ne quittez pas vos logis
Je vais m’occuper de lui
J’ai mon idée il est cuit ! »

Le lion baisse la tête et flippe de Karamanga !
Le rhinocéros féroce ? Il flippe de Karamanga !
Le gros serpent, mazette ! Il flippe de Karamanga !
La panthère toute véloce ? Elle flippe de Karamanga !
L’éléphant tout fortiche, il flippe de Karamanga !
Le sanglier balèze, il flippe de Karamanga !
L’ours prend des yeux de biche, il flippe de Karamanga !
Le cerf n’est pas trop à l’aise, il flippe de Karamanga !

La tortue elle est lente, fait trembler qu’ les salades
Mais elle est intelligente et c’est pas de la cagade !

(Elle inspire, dans un long son d’appréhension, et joue les bruits d’un butor titanesque en approche.)

Vlan, vlan ! Cric crac bim boum !
Il tue pour le plaisir… (Ce fut murmure)
Bram, broum ! Pif paf groum groum !
Points de suspension, frisson (Ce fut murmure)
Il tue pour se saisir… (Toujours murmure, nuque rentrée avant que ne gronde Karamanga)
Gram, groum ! Bim roubidoum !
Points de suspension, frisson (encore murmure)

(Elle se redressa alors, tendant l’oreille pointue, comme si musique s’en venait.)

Mais qu’est-ce donc ?
Entendez-vous ? (Elle mimait la lyre)
Shanya vient donc
Au rendez-vous ? (Elle mimait lyre)

« Mais qu’est-ce donc ?! » (voix de Karamanga)
« Entendez-vous ? » (voix de Karamanga)
« Il n’y a quiconque ? » (voix de Karamanga ; Eymindalë fit chut)
« Qui se dévoue ? » (voix de Karamanga ; Eymindalë fit chut, avant de continuer, comme d’une confidence)

Karamanga bat les buissons
Soulève chaque pierre, fixe les cimes
Karamanga n’entend qu’un son (elle mime la lyre)
Cligne des paupières : rien qu’il décime

Garoum-barouf : il gronde
Grumpf grumpf grumpf grumpf : il renifle
Cric-crac cric-crac : il sonde
Puis la découvre, qui siffle

Elle gratte les cordes : tibidim, tibidim
Et chante, chante pour les victimes, les victimes
Il se l’accorde : « cette tortue me rachètera
Elle représente une bonne excuse, et cætera »

Et devant sa famille, ses voisins réunis
Karamanga jubile : « grâce à ma ruse réunie
A mon adresse, et sans faiblesse
J’ai capturé une tortue qui chante
C’est une prouesse : écoutez-donc la liesse ! »
Caro jouait une mélodie touchante

Le lendemain (le lendemain, le lendemain)
Karamanga al-lait voir Roi
« Cette tortue » (cette tortue, cette tortue)
« Je l’ai dressée pour votre é-clat
« Ecoutez-la » (écoutez-le, écoutez-la)
« Elle chante et joue, oui - je - l’ai - vue »

Le Roi se penche - le roi se penche, le roi se penche
Et il dit à Ka-ra-man-ga :
« Attends ce soir » - attends ce soir, attends ce soir
« Elle jouera de-vant - toute - la - Cour »
Le soir arrive - le soir arrive, le soir arrive
Karamanga se voit déjà
Recouvert d’or - recouvert d’or, recouvert d’or
Et reconnu comme un seigneur
Les nobles sont là - les nobles sont là, les nobles sont là
Et Caroline ne chan-te pas
Le Roi s’énerve - le roi s’énerve, le roi s’énerve
Dit que Ka-ra-man-ga se moque
Et la sentence - et la sentence, et la sentence
Est la mort de la brute é-paisse

Au bout d’la corde - au bout d’la corde, au bout d’la corde
Karamanga souffle, geint et peste
Avant son soir - avant son soir, avant son soir
Il entend une mé-lo-die preste
Caro l’aborde - Caro l’aborde, Caro l’aborde
Lui dit « tu voulais être le pire du pire
Mon gros malin - mon gros malin, mon gros malin
Voici donc ton der-nier sou-pir »

(Elle inspira audiblement.)

Garoum-bidoum (garoum-bidoum, baroum-bidoum)
Et lilili la li la li
Peuvent être amis : galoum bili biloum lali
S’ils ne font pas parabellum
Pas parabellum mais Charmante-Vie !

(Elle parut s’arrêter, là, comme ça. Trois, quatre, cinq, oh, même huit secondes, avant de repartir conclure, comme d’une gigue, dandinant des épaules.)

L’histoiiire elle est finiiiie
Caroliiine elle est partiiie
Et le message il est par-i-ciiii
Zouuuum zoum zoum zoum biya
Zouuum zoum zoum zoum biyi
Charmante-Vie et youkadi oui ouiiii

(La sylvaine souffla sur une mèche venant alors battre sur ses lèvres.)

- La prochaine fois, les enfants, si vous me demandez, je vous raconterai ce que c’est, la Charmante-Vie.

(Elle eut un plissement d’yeux astucieux et affectueux, puis se leva, dans un mouvement de nuque domptant sa natte.)
Durant tout le récit, les visages enfantins s'étirèrent en mimiques explicites de peur, de joie et d'angoisse, avant de finalement éclater de rire une fois le méchant vaincu par la tortue. Ils levèrent les bras au ciel, tout en reprenant en cœur leurs héros pour la semaine à venir.

— Vouiii, Caroline elle a gagnééé ! Elle est la plus forte !
— Caroline c'est not' copine ! Caroline c'est not' copine !

Les enfants rirent de plus belle et en réclamèrent encore plus à leur nouvelle coqueluche. Ils encerclèrent littéralement l'elfe sylvaine dans une approche digne d'une meute de loups affamés.

— Eymiii, c'est quoi la chacha-vie ? Oui c'est quoi ? C'est quoi ? Caroline elle l'a ?

Le temps d’un cillement, la sylvaine lorgna sur la porte. Les trous de balle du dehors ne répondraient plus à son invite. C’était une défaite et un sacré problème.

Alors, elle écarta les bras, et ses gestes élégants accueillaient les enfants. C’était une victoire.
Au rythme d’une tortue.
Torrun
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Re: [Récit] Le jeu de l'elfe (Chroniques de la Charmante-Vie)

Message par Torrun »

C'est pas qu'j'aime particulièrement les Elfes. Non, ça on peut pas dire. Mais voilà pourquoi j'apprécie le forum!
Merci pour les images que tu as sues créer, Eymindalë. :D
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Le jeu de l'elfe (Chroniques de la Charmante-Vie)

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Merci Torrun, et à qui lit.
Eymindalë caressait la tignasse d’une gamine, et trouvait aussitôt qu’elle avait le cheveux un peu gras, pas forcément seulement selon les standards sylvains.

– La Charmante-Vie, petite, ou cha-cha-vie, ça marche aussi, c’est quand la vie te fait des clins d’oeil, t’envoie des signes. Moi, je crois qu’il faut les saisir, en trouvant une manière de sourire, même quand le signe que la cha-cha-vie t’envoie est assez, hum… (Elle frotta le bout de ses doigts.) Assez sale et crade. Tu veux que je te donne un exemple ?

Les enfants se tournaient vers la sylvaine, mais face à elle, une certaine hésitation sinon crainte demeurait. Ils se regardaient entre eux, silencieux. Alors, elle prit son air de clair-de-lune et poursuivit, tranquille.

– Il y a pas longtemps, je venais ici, c’était la première fois depuis longtemps – nous, les elfes, on vit longtemps. Sauf si on nous tue avant. Je me promenais comme ça, je regardais le village, passais d’un étal à l’autre, et puis tout à coup, pif, paf. Hmm. Je me faisais trouer et bastonner, pour rien, j’avais rien fait. Juste avoir des oreilles comme ont toutes les sylvaines.
J’en survivais tout juste, grâce à une fille d’ici, une humaine comme vous. Ses cheveux étaient comme de l’or. Tu veux que je te le dise ?

Elle donnait du « tu », mais les observait tous. Les bambins, et les vieux, les maîtres de la fourche, du gourdin, des seaux de merde qu’on vous jetait sur le râble, juste pour dire « bien le bonjour ! »

– Je me suis dit, mazette ! C’est un signe de cha-cha-vie, faut que je fasse quelque chose de ça. Quelque chose d’utile, quelque chose qui me fasse sourire. Et comme j’aimais pas trop les bardes, comme je trouvais l’idée débile de me faire aimer de vous, j’ai décidé que je conterai des histoires faites pour savoir se voir. C’est pareil quand je prie Shanya, j’essaie que ça me fasse sourire.

Elle cherchait à mesurer son effet dans le silence qui s’étirait. Finalement le plus grand des bambins interpela la sylvaine de manière téméraire.

– On veut une histoire rigolote, pas une prière ! T’as une autre histoire qu’elle est rigolote ?

Charmante-Vie, tu sais ce qu’était mon père et tu me tentes comme ça ?

Un petit blondinet derrière tout le groupe marmonna alors, apeuré.

– Ma maman elle veut pas que j’parle aux oreilles pointues…

Le plus grand répondit rapidement au petit dernier, un peu exaspéré.

– Oh ça va, on sait... Mais elle va pô te manger, puis elle a une histoire rigolote ! Sinon t'as qu'a partir, na ! (Il se retourna à nouveau vers Eymindalë.) Hein, tu vas pas l’manger?! Puis elle est rigolote ton histoire ?

– Hmm, fit-elle, rêveuse.

C’est l’histoire d’un village de petits porcs, éphémères comme un long jour de fange, qui croisent une gentille louve qui rêvait de brebis. Et ils parlent, et ils parlent, et petit à petit, et assez vite même, face à tous leurs rejets, la putain de louve comprend qu’elle ne rêvait pas d’être une brebis toute blanche, mais que sa gueule avide n’avait soif que de…

– Hmm… fit-elle, avec le froncement de sourcil propre aux censeurs.

La gamine aux cheveux gras avait l’air de songer, elle aussi. Ses joues étaient malpropres, sa robe trouée et rapiécée. Ses yeux brillaient aussi.

A quoi tu penses, petite ?

Elle avait l’air perdue et, pire, toute apeurée quand un immense Ts’raal entra et fit pleurer le plancher. Les louves ne ronronnaient pas, or Eymindalë souriait, attendrie, par ce petit laideron d’humaine qu’avec ses iris d’ambre, elle cherchait à réconforter. Un signe de Charmante-Vie.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Le jeu de l'elfe (Chroniques de la Charmante-Vie)

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Le Ts’raal prêtre de Kaïn laissa à la bande de morveux une corbelle entière de fruits faits du soleil de l’aride Balamoun. Et les enfants croquaient, s’en suçaient même les doigts, oubliant que leurs parents peuplaient les cauchemars de sauriens.

– Alors, t’as une histoire ? postillonnait le mouflet.

Eymindalë se redressa comme s’étiraient les chattes.

– En tout cas, les petits, ça sera bien meilleur que ces histoires d'elfes qui mangent des enfants, ou même des gens : c'est des histoires, c’est même pas drôle, et c'est n'importe quoi. (Un sourire appuyé.) Vous voulez une histoire entièrement rigolote ? Hmm…

(Son index et un demi-sourire taquin et complice désignaient les enfants, comme si elle et eux étaient de joyeux drilles se comprenant d'instinct.)

– Mais, bon, je vous vois venir, les enfants, vous êtes du genre à vouloir une histoire drôle, mais aussi pleine d'aventure, et une histoire, en plus, qui plairait à une princesse devenue reine, voui voui ! Non ?
Bon, ça tombe bien.

Je vais vous raconter l'histoire (elle désigna une épée en bois, battant sa hanche) de cette épée légendaiiiiiire – ah mais si, légendaire ! – qui a fait sourire la princesse Nisha, devenue reine de Balamoun en épousant son frère, le souverain Pharaon. (Son index pointa la corbeille vide.) Là d’où venaient les fruits.
– Pouaah ! C'est cochon de faire des bisous à sa sœur !

– Moi, ma maman elle a épousér son cousin, mais pô son frère, oh non jamais !
– Mais les fruits ils sont bons, alors peut-être que… ?
La sylvaine haussa un sourcil, continua comme si de rien.

– Et après, si vous en voulez encore, je ramènerai Caroline. Hmm. La tortue, la Caro, votre copine.

Avec des écailles, une carapace… C’est les Ts’raals que vous aimez, bande de petits trous du cul.

Avec une nonchalante élégance, la ménestrelle remisa derrière l’oreille une mèche ondulante qui naissait sur sa tempe, et laissa s’étirer un silence, durant lequel elle regarda les enfants, puis l'assistance, comme si elle fut, pour l’aventure d’un instant, une complice chère, suggérée à la manière des cils qui caressent : de loin et comme s’il n’en était rien.

– La fabuleuse légende de cette épée de bois (qu’elle câlina, du bout des doigts)
Débute sans qu’on m’entende ni même qu’on me voit :
C’est que je me baladais, en chantant la-la-la
Me perdant dans Forêt – oh oui au moins deux fois !

(soupir d’une auto-dérision théâtrale, tandis que ses yeux jouaient le désespoir insouciant)

Une pie malicieuse m’attirait vers des trolls
(yeux ronds et frisson)
Les chênes s’amusaient à se changer en ifs…
Les mousses astucieuses se firent farandole
Et pour ma part j’osais leur confier mon esquif

Elles sont une boussole qui toujours pointe au nord
Ainsi donc j’amarrais dans un bois cousu d’or
Et d’un dernier survol
(signe de l’index, faisant solennellement « non »)
sans trompette sonore
Fis-je un dernier arrêt vers un cerf qui s’endort

(un silence s’étirait, des anges s’y nichant)

Le cerf
Si noble et majestueux
La forêt le couronne

(Elle parut projeter loin son regard, jusqu’à ce lieu, peut-être – un sourire soudain, ainsi elle en revint.)

J’arrivais aux montagnes, j’y avais rendez-vous
Près d’une sente calme aux portes du désert
Que les tempêtes accompagnent… Sans qu’on ne s’y dévoue
Un étranger déclame : aux sables surnuméraires

Il préfère se soustraire. Habillé d’un caftan
Tissé en Balamoun ; son visage est voilé
Il ne veut s’en abstraire. Et moi pour tout passe-temps
J’écoute sa scoumoune. Les cieux sont étoilés
Et moi bien ennuyée car voici qu’à présent
Il fait une promesse : contre dix pièces d’or
Il lit la destinée.

(Elle sourit en contenant la gourmandise d’un rire voulant éclore)

Je lui dis : – Mais encore ?
Le voici qui professe : – mon nimbe omniprésent
Révèle son firmament à l’art divinatoire…
Je soupire doucement car je me sais curieuse
Préférant tellement faire, que des regrets le dard
Voici donc mon affaire, divination rieuse :

(elle plisse les yeux, travestit sa voix, y insufflant des brumes tressautant un peu aux tintements de ses sourires)

– Tu dois trouver l’Errant !
Dit-il. – Tu comprendras quand tu l’auras trouvé. Il partait.
– Qu’il m’attende ! décidais-je. Il comprendra à tant s’y égarer.

(Elle eut un ballet de mains, qu’elle laissa s’évanouir lentement.)

– Je trouvais lors refuge dans les maisons de suie
Près des cavernes obscures, à Sancte fut cataclysme
Charbon y est déluge, vivre, un surréalisme
Là est la sinécure de l’être qui s’ensuit :

(Elle fléchit les genoux pour se raccourcir et mimait un marionnettiste, devisant avec ses deux mains et ayant l’air assez éberlué.)

Il avait quatre têtes dont l’une était perdue
Il la cherchait sans cesse, mais nul ne l’entendait
J’observais ses faciès, sa complainte éperdue
Et ses manières d’esthète comme ce qu’il demandait

Il était fait d’un homme, d’un nain et un gobelin
Et s’il trouvait le vrai, il ne pouvait l’étreindre
Pas même un minimum : nulle main ne venait poindre
Sa tête absente œuvrait au royaume des nains

(Elle fit d’une main une bouche.)

– Ô douce demoiselle ! Retrouvez-donc ce Well !

(L’autre main y abondait, puis à chaque rime du couplet, une main répondait à l’autre.)

– Je vous en prie sylvaine, donne-nous de ses nouvelles !
Well fait bien trop de zèle, il cherche royaume des nains
Mais nous quelle déveine ! Son absence est venin »

Le Royaume des Nains...

(Elle feignit en écouter l’écho, dans les hauteurs lointaines.)

Si froides sont les pierres
Leur mémoire
Vit et brûle

(Elle répéta le dernier vers de son évocation de l’évanescence des choses.)

Il pleurait une langue que personne n’entendait
Et sa détresse exsangue était son glorieux dais
Je trouvais les fissures et pansait sa souffrance
Et sans égratignure, je déclenchais sa transe :

(Elle prit une voix rauque, du moins, affecta prendre une voix rauque.)

« Amis j’ai croisé Well ! »
(Elle plaça sa main pour faire aparté à l’assistance.)
Non ce n’était pas vrai
Mais à vous je révèle :
Sa détresse me navrait
Et j’avais bien compris que son âme divaguait
Alors pour son esprit mon daguet zigzaguait :

(De geste, l’aparté cessait.)

« Il m’a dit : va les voir ! Dis-leur que mon espoir
Est qu’ils te reconnaissent, que leur défiance s’affaisse,
Qu’ils sortent des tours d’ivoire, qu’en souvenir de ma poire
Ils te fassent la confesse du secret-forteresse ! »
(Elle prit une voix rauque, du moins, affecta prendre une voix rauque.)

« Tu es donc son amie » à la quatrième tête
(précisa-t-elle une main en paravent, tel qu’on le ferait d’un secret, avant de reprendre sa pantomime)
– Et il va bien tu dis ! Peut-être es-tu donc faite
Pour tenir la légende… C’est la fin des défaites
Et nos vies en dépendent… Te sens-tu vraiment prête ?

– Mais à quoi je vous prie ? Il ne m’a pas conté
M’assurant bien qu’ici, tout serait relaté…
(Je faisais même la moue)
– La clé de ce mystère ?
C’est l’épée légendaire qui seule vainc les Enfers !

Vous joindrez-vous à nous ? » J’avais à peine du fer
Mais l’audace jusqu’aux joues : – Qui seule vainc quels Enfers ?
– Les démons de la nuit et le Cerbère putride !
– Ah ah, bien sûr, oui oui ! (je m’en faisais des rides)

L’Errant rappelez-vous me prédisait destin :
« Tu dois trouver l’Épée…
(mouvement de balancier, moue de celle qui s’apprêtait à hériter d’une joyeuse plaie)
...Et tu sauras après. »
Eh bien maintenant je sais, mais comment donc qu’on fait ?
– Oh comme elle se dévoue, sans peur d’être un festin !

– Ah ah, oui oui, bien sûr… Je me sens très sécure…

(J’en tremblais des fémurs, sans tagada-tsoin tsoin
Et craignais de mourir, de sonner mon tocsin
Mais ne pouvais tenir, en toute désinvolture)"

[Elle eut un rire fait d’un souffle joliment – si, si – saccadé, et reprit]

Rire et mourir
C’est respecter la Vie
C’est honorer la Mort

[Elle parut soupeser ses mots, à la fois contentée et inquiète ; chassa un frisson.]

Contemplant la caverne, chauve-souris en nuées
Se faisaient sentinelles des ruines du château
Où gît – sans balivernes ! l’épée sous les linteaux
Je me veux rationnelle mais j’en ai des suées

Mon cœur bat la chamade, ma torche est allumée
Et ma plus fière armure ne manque pas d’allure
C’est ma brave couverture, rêche de musculature…
(Elle mimait sa geste emmitouflée, lumière brandie.)
J’avance pleine de saccades, je vais les enfumer

Elles s’en vont à tire-d’ailes, j’entends des coups sonner
Voici maintenant qu’ils viennent, les démons mentionnés !
(sursaut)
Ils me frappent, me querellent…
(main sur la poitrine, crispée de douleur)
Ah, non, c’était mon cœur
Ma seule et unique peine, haletante de frayeur…

(Elle esquisse la pantomime d’une avancée méticuleuse, prudente, regardant les cieux comme l’on ausculterait les galeries d’une grotte, tendant l’oreille et plissant les yeux – soudain, un tressaillement.)

Voici le fier castel, cette baraque ruinée
Je trouve une vieille enseigne, « château » y est marqué
J’y exhume des dentelles, des froufrous chagrinés
Une vieille chandelle, un peigne,
(Elle touche, affectant un triomphe burlesque avec pourtant une grande sobriété de gestes et d’expressions.)
Et l’épée démasquée…

(Mouvement de nuque héroïque, agitant sa tresse, faisant battre une mèche dans un transport aérien et ralenti.)

J’allais par les allées, telle une bayadère
Quand d’un marionnettiste, à l’esprit disloqué
J’ai remonté la piste de sa vision toquée…
(Elle ajusta sa voix, tel qu’on le ferait pendant des roulements de tambour.)
Je suis Eymindalë, à l’épée légendaire

(Elle eut alors, le temps de deux carillons, un rire cristallin, avant de sourire, laissant luire dans ses yeux une pincée d’étoiles – voix suave et filant, légère comme un filet d’eau claire, ses derniers mots.)

Les contes
Les chants
Les sens et l'essence

(La sylvaine eut un geste de tête pour les enfants, puis l'assistance, se taisant ensuite, pour laisser toute leur place aux gestes et prochains mots ; attentive à son environnement, elle laissait venir.)

Les enfants rigolèrent devant l'imagination d'une telle fresque, avant de se taire à nouveau pour écouter l'elfe.
Certains tiraient la lange devant la confusion, d'autres fronçaient les sourcils pour faire tourner leurs neurones, pendant que d'autres, défaitistes, s'adonnèrent à l'excavation nasale de leurs doigts.
Lorsque Eymindalë eut terminé, les gamins restèrent un brin interdits. Mais rapidement les questions fusèrent.

– C'est quoi un Pharaon ?!
– Pi t'as trouvé l'Errant ?!
– Pourquoi qu'il avait une épée des enfers d'abord ?!
– ... Oui, la tortue, la tortue !!!
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Le jeu de l'elfe (Chroniques de la Charmante-Vie)

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Les enfants se pressaient maintenant autour de la sylvaine. Ils la touchaient, lui tiraient sur la manche, certains tripotaient même ses hanches, avec la face toute rougeaude. La conteuse laissait faire, étirait le temps, en se faisant féline, yeux mi-clos mi-ouverts, respiration apaisante.

Elle étouffa l’ombre d’une moue en plissant ses yeux d’ambres étoilées vers des orients, d’où elle prenait l’air d’extirper des réponses.

– Ce qu’est un Pharaon ? Ah, bonne question mon mignon. C’est le roi du désert et de la cité solaire qu’on nomme Balamoun. Très loin d’ici, de l’autre côté d’Odyssée. Là-haut, il y a des choses qu’on fait comme ici, et des choses qu’on fait différemment.

Sauf l’amour et la violence, qui sont partout les mêmes, opposées et semblables. La pensée la ramenait au mariage.

– Par exemple, l’histoire de la tortue Caroline, je la racontais différemment, à la princesse Nisha, de ce que je vais faire pour vous. Hmm.
J’espère que vous êtes prêts, amis Brumois !

Mes bons amis, si fiables : je peux compter sur vous pour comploter ma mort. Mes bons amis, si braves : ça viendra dans le dos, ou à quinze, et dans une ruelle sombre, avec quelques crachats pour remplacer vos larmes.

Puisque les chattes savaient danser sur des toits brûlants, elle essora l’instant, pour aller de l’avant. Elle se mit alors à battre la mesure avec un index, commençant sur l’air des contines, pas forcément si innocentes.

– L’histoire de Caroline, la tortue très maline
Elle est petite, robuste, délicate et verdâtre
(Elle s’était accroupie et mimait une petite créature menue mais costaude, avant de se relever)

Elle s’amène, elle s’incruste, par ses pattes ? toutes les quatre !
Elle s’appelle Caroline, la tortue très maline

Elle triomphe de l’arène, elle triomphe de tout règne
Elle est végétarienne mais il n’y a rien qu’elle craigne :
Un jouuuur, Dame Tor-tue ras-semblait-les-a-ni-maux
Mais pour quoi faire crois-tu ? Pour leur dire quelques mots

« Une dangereuse plante pousse dans notre forêt »
Si, si, sûr que c’est vrai, c’est ce qu’elle dit et fait !
« Il faut la supprimer, sinon c'est elle qui f’ra ! »
– Ah, ah ! Non mais voilà ! On aimerait bien voir ça !

Elle conduisit les bêtes à lisière de forêt
Si, si, c’est ce qu’elle fit c’est vraiiii !
Il y avait du chanvre qui s’étendait en champs
« Ah, là ! Mangez-moi tous ces plaaaaants ! »

Les bêtes examinèrent et goûtèrent même les feuilles.
L'antilope fit grimace :
– Beurk beurk ! C’est amer, dégoûtaaaant !
(Elle le disait souvent, telle était sa manie).
– C'est amer ! qu’elle disait. Pourquoi faudrait brouter ?
Le flamand dodelinait :
– Beurk beurk ! (c’était un imitateuuuur).
Pour-quoi man-ger du chanvre, moi-qui-vit-sur-de l’eau ? »
La carpe ne dit rien (hormis bloup-bloup, bloup, bloup),
Mais s'en alla bien loin, d'un bon coup de nageoire
(parce que bon quand même, le héron jamais la loupe
Et il est bon copain du flamand sur son perchoir)

Et voilà que voili, chanvre poussa bien tranquiiiill-euh
Et voili que voilou, il y en avait tout partout
(Captivant par la parole les bambins de la taverne, Eymindalë dépeignait un tableau d’animaux, tous plus fantastiques et inconnus, aux jeunes regards lui faisant face. Si l’incompréhension des petites têtes blondes s’installait sur certaines parties du récit, les mimiques de la sylvaine savait restaurer les sourires sur leurs visages. Les onomatopées était certainement des colonnes indéfectibles de leur vocabulaire. Ils reprenaient en cœur les gestes, étudiants assidus de nouvelles grimaces.)

Un jour les hommes vinrent, en tressèrent plein de cordes,
Les prirent pour tous leurs arcs, et taillèrent plein de flèches
Et ils poussèrent leurs barques là où les oiseaux crèchent
Les flamands cibles devinrent :
– Ourk ! Ouille Miséricorde !

Les oiseaux s'envolèrent, mais l'un d'entre eux resta là,
Agonisant déjà. Caroline s'approcha :
– Si tu m'avais suivie, tu volerais vers Shanya,
Non pas vers... » Elle se tut.
Le flamand supplia :
– Tortue, tortue, aide-moi !
– Las, il est bien trop tard, mais je chanterai ta vie.

Un homme vint,
Prit le flamand,
Pour slurp ! Miam !
Le manger.

L’histoire de Caroline, la tortue très maline
Elle est petite, robuste, délicate et verdâtre
Elle s’amène, elle s’incruste, par ses pattes ? toutes les quatre !
La Caroline, p’t-être pas gentille,
Mais tortue très maline

(Elle déplie alors avec une sobre élégance son index vers un représentant du petit peuple, et ajoute:)

Un hobbit prend une canne, y attache une corde,
Un crochet en son bout
Un crochet en son bout
La carpe (blouip blouip) y mord ! Caroline vient en nage :
– Si tu m'avais suivie, tu nagerais vers Shanya...
– Blouip, blaïe, tortue ! Aide-moi !
– Las, il n’en est plus l’heure... Quelqu’un chantera ta vie »,
Caroline répondit !
Caroline répondit !

Hobbit tira la canne, sortit la carpe de l'eau
Sortit la carpe de l’eau... Hé !
Sortit la carpe de l’eau... hé !
Et ah ! Rentré chez lui
Il festoya ravi

(La sylvaine trouva un nain dans la taverne et lui adressa un sourire paraissant timide.)

Les nains prirent les cordes, en firent des nœuds coulants
Qu'ils mirent sur le sentier !
Qu'ils mirent sur le sentier !
L'antilope sans sa horde vint là en déboulant
Ah, ah ! Ah oui ça y est, elle s’y fit prendre le pied !

Caroline s’approcha, Caroline s’approcha :
– Ah ! si tu m'écoutais, tu ferais sourire Shanya !
– Aïe, Aïe, tortue ! aide-moi ! Me laisse pas plantée là !

Caroline ronge la corde, libèreuh l'antilop-euh
Et l’antilope déborde, de joie elle soliloque :
– Oh, oui, merci tortue ! On n’m’y reprendra plus !
Oh, oui, merci tortue ! On n’m’y reprendra plus !

L’histoire de Caroline, la tortue très maline
Elle est petite, robuste, délicate et verdâtre
Elle s’amène, elle s’incruste, par ses pattes ? toutes les quatre !
La Caroline, p’t-être pas toute gentille,
Mais pas non plus méchante... chante ! »

La sylvaine eut son mouvement de nuque, ses cheveux ondulèrent ; elle guetta les réactions, telle une féline sur un toit l’été : paraissant inaccessible, mais pourtant si attentive.

Elle fit alors mine de se détourner des enfants pour rejoindre le comptoir, comme une féline feignant quitter un promontoire pour mieux y revenir. Les enfants l’assaillirent de câlins et caresses, avec la rudesse brusque des plus adorables des monstres. Ils réclamaient encore.
Alors, après un œil pour les étoiles qui souriaient à la fenêtre, elle s’apprêtait à reprendre.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Le jeu de l'elfe (Chroniques de la Charmante-Vie)

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Eymindalë eut un mouvement de cou ; une mèche rebelle, en absolue complice, se fit une cascade ondoyant sur son épaule. D’un regard sibyllin, elle éplucha l’audience, et soutint les œillades des Brumois attablés.

« Un jour la Caroline défia l’antilope :
– Tu me crois lente, copine, mais à la course j’te chope
– Ah, ah ! C’est bien drôle ça ! Je voudrais bien voir ça !
– La colline qu’est par-là, j’y serais bien avant toi
Courons jusqu’au sommet et gloire à la première
Courons jusqu’au sommet tu m’y verras première !

L’antilope elle se marre, n’en revient pas d’cette histoire
Mais juste avant qu’elles se barre, Caro lui mord l’pétard !
Sus-pen-due à sa queue, Caro elle est maline !
Sus-pen-due à la queue, d’antilope galopine !

Arrivée au sommet l’antilope se retourne
Elle cherche Caroline sans connaître sa combine
Caro pleine de toupet, lâcha la queue et dandine :
– Je suis là ma copine, y a une plombe qu’j’y séjourne !

Les yeux écarquillés, l’antilope est trompée
Sa fierté rhabillée, la victoire échappée
Et en plus qui l’eut cru ?
Elle avait mal au hum-hum
Et en plus qui l’eut cru ?
Elle souffrait du hum-hum

(La sylvaine tapait dans ses mains, les enfants brumois sautaient et l’imitaient. Un vrai bordel. La Charmante-Vie.)

L’histoire de Caroline, la tortue très maline
Elle est petite, robuste, délicate et verdâtre
Elle s’amène, elle s’incruste, par ses pattes ? toutes les quatre !
La Caroline, c’est pas la plus rapide,
Mais elle est pas stupide ? Chante !

(Ou même, riez plutôt, oui, comme ça, c’est très bien. Elle partagea un rigolade avant de reprendre.)

Lion, roi des animaux, sa crinière apprêtée,
Convia tous ses sujets à un somptueux festin.
Léopard, singe, croco, éléphant y étaient
L’antilope y allait, Caro avait bien faim

Miam, miam, les jolis fruits !
Étaient tous engloutis !
Slurp, slurp, les jolis jus !
On finissait repus !

Lion se fit écouter :
– Ro-ar, roar ro-ar
Vous avez bien maaangé !
Ro-ar roar ro-ar
Vous êtes bien renfoooorcés !

(mouvement de nuque, cheveux jouant du mouvement de crinière)

Je vous donne l'occasion d'en faire démonstration !
Nous allons tous lutter les uns avec les autres
Là, là, là dans l’arène ! Sans la moindre exception !
Les vaincus deviendront les serviteurs des autres
Et le plus fort d’entre eux?

(Elle roule des épaules, dandine… Ce qui met en valeur sa poitrine, ce qui n’était pas forcément visé, enfin, seule elle savait.)

...Sera de tous le roi, Roar ! »

Lion toucha sa barbiche, ses yeux brillaient d’malice
Et pour sauver ses miches, il dit avec délice :

– J’ou-bli-ais, j’oubliais, Éléphant arbitr’ra. Groar ! »

Lion était fin malin, car Éléphant plus fort
Comme Lion était bourrin, il commença le sport :
Il saute sur Antilope, qui s'enfuit à toutes jambes
Alors sans crier hop ! Il bondit sur Tortue
Caro crie : Oups, pas glop ! Carapace de tortue
Le Lion crie : Grrr pas top ! Tout ça sans dithyrambe

(La sylvaine se mit à mimer le combat de la patte léonine – et des crocs avec – contre la forteresse carapaçonnée)

Voix grave : Roar grumpf !
Aiguë : Zim-zoum biyou !
Voix grave : Grrr grrraaaah !
Aiguë : Zim-zoum biyaaaa !

(Écarquillant les yeux, elle mime le fauve regardant sa patte, décontenancé, désabusé, mais avec une vague expression endolorie aussi.)

Voie grave, mais perplexe : Graoumpf gra-ouille ?
Aiguë, la bouche pleine : amf humf muf nouille

Caroline la maline sortit tout vite sa tête
Pour mordre la patte féline – Graoumpf gra-ouille ouille ouille !
Cachée sous sa coquille, elle tient face à la bête
Et dit dans sa bisbille :
– Je t’ai eu belle andouille !

Et le Lion rugit, et la Tortue tient bon
L’Éléphant fait jury : Caro bat le roi lion
Elle devint donc la reine et son premier discours
Je m’en souviens sans peine, je m’en souviens toujours :

Pou-pi-dou poupiya !
Glagla gligli glouglou ? ah !
Pou-pi-dou poupiya !
Zoumzoum loulou lala ? ah ! »


Les enfants avaient agité autant de mains que possible pour mimer crinières, queues et autres appendices.
Les plus âgés se demandaient même quel était cette rougeur qui les envahissait en voyant poindre le décolleté des petits seins bien faits de la sylvaine. Il était néanmoins clair que l’histoire avait porté ses fruits, non pas ceux de Balamoun, mais bel et bien de la bouche d’une elfe.

Ici. En Brumevent, où les morveux maintenant scandaient son nom. Ils m’appellent Emiladè. Et elle leur souriait.

Le groupe de villageois, qui buvait et jouait aux dés, écoutait d’une oreille distraite le conte, mais observait d’un œil curieux la joie des mouflets. La taverne était à présent bien remplie, aussi bien de chants que de personnes et Anathemna derrière le comptoir ne chômait guère.

Si la nuit était encore crue à l'extérieur, une chaleur bienfaisante était de mise dans la taverne. Il y avait là une bonne soupe, des enfants joyeux, criards, heureux, ou encore un public. Certainement que Shanya elle-même aurait aimé s’y trouver. A vrai dire, elle était là, puisque la Charmante-Vie s’y trouvait.

Ce long soir là, dans la boue de Brumevent et son atmosphère souvent lourde quand on venait à bigler sur des oreilles, de belles roses s’élevaient, à la place des grandes haines charriées par les fumiers.

Eymindalë annonçait son départ, cajolait les bambins, multipliait les câlins.

Des villageois étaient restés entre eux à discuter et jouer, mais les cris des enfants les avaient irrité. Certains revêches alcoolisés se tournèrent donc vers eux et leur lancèrent un regard torve. Ils dévisagèrent un instant l'elfe sylvaine, avant d'interpeler les gamins d'un ton sec.

– C'est bon les mioches, on s'calme ! L'elfette, elle a dit qu'elle partait, z'êtes sourds ?!

Beaucoup de fumiers, peu de roses. Sur le seuil de la porte, Eymindalë jeta un ultime regard à la salle et aux dernières mimines qui s’agitaient pour elle. Mais elles sont les plus belles, et si les racines prennent...
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