[Récit - 2] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

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Eymindalë Lomorwenn
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[Récit - 2] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

« Les contes
Les chants
Les sens et l'essence »

La sylvaine achevait son chant dans la Biche d’Or où, même bondée, chavirer près des couloirs menant aux chambres de passe laissait humer une odeur de stupre et foutres mêlés.

Les clients, dockers, marins, aventuriers en halte ou en perdition, avaient écouté le récit du gobelin marionnettiste et de l’épée légendaire, certains curieux, d'autres rieurs, d'autres encore endormis. Néanmoins, les interludes à la flûte de pan les avaient happés et au fur et à mesure, le public s’était pris à attendre le dénouement, silencieux. Une fois les derniers mots posés, des applaudissements remplirent toute la taverne.

Après la représentation, Eymindalë rejoignait son comparse au comptoir.

- Ah, Élu ! (Un regard pour le tavernier, par-dessus l’épaule.) Je crois que Jaahl est plus qu'occupé. Tellement qu'il en est un peu absent. Hmm. Ailleurs.
...
J’ai bien réfléchi, et le refus de ce moine ne me fait pas changer d’avis : réfuter la place dévolue aux collèges bardiques – voir, entendre, pour pouvoir dire et faire se souvenir – c’est cracher sur la charge de la mémoire ancestrale. Alors, oui, le problème ce n’est pas qu’il y ait des types comme lui dans ce monde. Non. C’est que ce qui sort de leur claque-fiente soit pris pour de l’or en barre.

(Elle plissa les yeux, songeuse quant aux conséquences à en tirer. Elle avait des goûts de naufrage et de perdition en bouche, ceux du regret de l’Âge où les collèges bardiques, qu’ils soient haïs ou honorés, étaient respectés pour ce qu’était leur rôle ouvrant sur les égards dus aux aïeux, car ils vivaient encore à travers eux, éternels parce que les mots le sont…)

Sauf si on les tarit, qu’on organise l’oubli. Ah, moinillon...

Ses yeux d’ambre bifurquèrent longuement sur les filles, sur Roxanne surtout.

- Hmm. Je vais essayer de récolter de belles sommes ici, avant d'aller au Fort, me faire fabriquer une armure. En cuir. Souple.
(Perplexe)
Je me demande combien ça coûtera, et même si j’aurais de quoi payer, d'ailleurs… Mais si ça peut sauver une vie, disons la mienne pour débuter, je voyagerais alors avec d'autant plus de légèreté.

- Je pensais que c'était à Bois-Doré qu'on trouvait des travailleurs du cuir, non ?

- Hmm, je note ça dans un coin de mémoire. J'irai me faire vider les poches à Bois-Doré si au Fort, ça ne marchait pas. Une fois équipée, j'irais retrouver la Sentinelle, parce que, quand même, ça fait longtemps, avant, peut-être, de prendre la mer.

Puisque les bardes n’existent plus ici et que la vague déjà se lève, prête à tout engloutir, puisque l’eau se souvient. Hmm. La mer dit que les plus grosses scories flottent longtemps en surface, prêtes à maculer la bouche de ceux qui happent l’air. Ta robe de bure pleine de vieilles tâches explique tout. Hmm. Ça explique tout. Tu rends le naufrage bien meilleur.
Modifié en dernier par Eymindalë Lomorwenn le 02 mai 2022, 08:24, modifié 2 fois.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

La sylvaine cillait ses pensées, comme les vagues se jetaient sur le sable.

- Bon, fit-elle à l’Élu de Shanya, je me lance pour une deuxième. Je vais y mettre beaucoup, je verrai ce que ça donne.

Elle se leva et porta sa flûte de pan aux lèvres, jouant un air oscillant entre mystère et notes volantes, légères. Quand elle eut quelques attentions, elle énonça l’objet de son envoi.

- J’allais donc, à travers forêt, montagne, puis désert, jusqu’en la grande Balamoun.

(Flûte)

- Je hume le sable
Ardente Balamoun
Et je sens la mer

(Sa vague est haute, car ceux qui oublient sont faits de vase. Elle inspira et s’efforça de partir loin des fortunes de mer qu’elle voyait promises aux temps.)

- Pharaon et sa sœur s’y mariaient…
Le mariage… L’idée m’a toujours fait penser à la plume et l’oiseau.

La plume est légère
L’oiseau est plus lourd
L’une tombe, l’autre vole

(Sur ses lèvres, l’index vint faire silence, avant que la flûte de pan ne porte vers des sons à la fois aériens mais aux racines profondes.)

- J’allais dans les arènes, un enfant mandait mon art.
Alors, je saluais…

(Elle domestiqua une mèche derrière l’oreille et déclama.)

- Clair de lune
Scintillent runes
Depuis la hune
Je vois les dunes

La Cité est Radieuse
L’épouse siège, impérieuse
L’atmosphère, mystérieuse
En l’arène… Insidieuse

(Ça sentait trop l’intrigue, le complot, le meurtre chaud, avant que les assassins...)

- Balamoun, soleil lourd
Balamoun, ses atours
Se clament sans tambours
Ses mirages, ses... détours

Hmm.

Après un court éloge
Me voici en la loge
Je crains que sous les toges
Machinations s’y logent

Et je voudrais t’y plaire
Que mes chants et mes airs
Sachent te satisfaire
Shanya aux Yeux Pers

Je voudrais tant savoir
Shanya, bien les voir :
Coulisses attentatoires
Au mariage tout en gloire 

(Elle laissa filer un instant, en étirant les sons de sa flûte.)

- Nisha, la princesse et sœur qui devenait reine, me demandait de la divertir. Je me hasardais à raconter la mort du crocodile.

Et je frémissais quand Pharaon posait ses yeux impénétrables sur moi.

(Elle plissait les paupières, paraissant y voir bien autre chose, laissant les silences et les interstices combler ce qu’elle ne disait pas sur le parfum de cette union, ses trames, ses dessous.
Flûte de pan.)

Jadis dans le Mnevis, vivait cet effroyable :
Si fort et plein de vice, Kandu le Crocodile.
Aucun ne l’égalait, pas même cet incroyable
Grand lion qui détalait, cédant du trône l’idylle :

- Tu es plus fort, puissant. Mon trône n’est plus qu’à toi !
Kandu était respecté de tous ses sujets,
Mais les hommes le détestaient, car il les mangeait.
Les chasseurs voulaient son sang, mais restaient pantois

Kandu les surpassait. Il passait des soirées
Vautré près de la berge, mais jamais n’y grimpait,
Les sachant qui guettaient l’heure de son cuir épais.
Ainsi il paraissait figé dans les reflets.

Les vivants se persuadaient qu'il n’était plus que mort,
Alors il émergeait et les menait sous l’eau
Et l’onde saccadait de celui qu’il dévore,
Le village divergeait étranglé au goulot.

(Flûte de pan.)

Dans l’arène, je laissais retentir les cris et encore les cris, les appels et encore les appels, qui réclamaient un combattant pour s’illustrer et rougir le sable de sang. Tant et tant. Hmm. C’est vrai.

(Flûte de pan : mystère et mystères.)

- Kandu terrasse nos forts ! clamèrent athlètes et chefs.
Si toutefois quelqu'un arrivait à le tuer,
Et prouver ses efforts par le cuir des griefs,
Il aurait le butin que maints hommes convoitaient.

(Elle attrapait du regard quiconque l’observait, un à un, envoûtante, proche et distante, l’amie et l’inaccessible à la fois.)

Et personne, cependant, ne voulut l’affronter.
Oui personne ! sauf un frêle, très prudent garçon,
Ni très fort, ni très grand, et pas même effronté.
Pour vaincre dans cette querelle, il avait sa façon :

(Elle tendit l’index en exhumant une voix d’enfant dans les mânes qui parlaient à ses battements de cils.)

- Kandu est très rusé. Je dois l’être plus que lui !
Il prit lance, bouclier en bois et s’en vint au Mnevis
Aux regards amusés il disait son office :
- Je vais faire tablier de Kandu, oui oui oui !

Et l’enfant arpentait la berge sans s'occuper
De Kandu, ni des gens qui le disaient timbré.
Animaux, diligents, le virent pour palabrer.
Le lion ainsi parlait : - tu rôdes pour qui duper ?

- Je suis venu chasser l’effroyable crocodile !
- Et quand penses-tu le faire ?
- Bientôt à la pleine lune.
A force de ressasser la nouvelle, le reptile
Accordait à l’affaire de plus en plus rancune.

La lune grossissait et il voulut savoir :
Il surveilla l’enfant, l’attaqua sur la berge.
Ce dernier subissait l’effroi qui le submerge
Alors il se défend, énigme en déversoir :

- Ce n’est pas encore l’heure, Ô crocodile Kandu !
La lune ne sera pleine que pour la nuit prochaine !
- Que crois-tu que j’apprenne d’attendre la nuit prochaine ?
- La fin de toutes tes heures, toi crocodile Kandu !

- Tu crois donc, misérable, pouvoir vraiment me tuer ?
Il n’y a aucune arène où l’on s’y essaierait !
- Je m’en voudrais capable, je ne puis, je sais, mais...
Tes ennemis vulnérables viendront t’exténuer !

- De qui donc parles-tu ?
- Des autres animaux !
Du lion, de l'éléphant, de tous les autres vois-tu !
Leur humeur s’échauffant de tant et tant de maux,
Demain ils te conspuent, et ce faisant te tuent !
- Moi, je ne les crains pas et je vais le leur montrer !

(Elle désignait le sol comme si le crocodile y était et s’agitait, gueule féroce, queue nerveuse.)

L’enfant suivit lentement Kandu partit sévir,
Intense et véhément ; les animaux comprirent
Qu’il venait attaquer, firent corps et se liguèrent
Et, sans un coup porté, l’enfant gagna sa guerre.

(Elle sourit, radieuse et perplexe, avant de faire sonner sa flûte, de s’en éprendre, d’en délecter et, lentement, de la faire taire, pour la ranger.)

Alors, d’un pas nonchalant et lent, Roxanne se dirigea vers la sylvaine. Dodelinant ses hanches courbées, exacerbant sont délicieux corps sucré, elle s’accouda près d’elle, tout en balayant l’ensemble des personnes présentes du regard.

- Ma toute douce, j’aime t’écouter… Mais si tu veux, on peut toujours s’éclipser pour que… tu me contes fleurette. Et que tu me régales de… tout ce que tu sais… si bien faire avec ta langue… tu pourras me chantonner dans le creux de l’oreille et me régaler de toutes tes histoires, de tous tes talents…

Entre tes seins, comme sur deux îles, entre tes cuisses, comme...

D’un geste de la tête, la belle envoie délicatement sa chevelure de feu caresser le visage de la sylvaine, pour se tourner vers l’Élu de Shanya. Son regard ardent se met à dévorer furtivement le garçon, avant de se reposer et s’enflammer sur la ménestrelle.

- Tu ne veux pas venir faire un petit tour avec moi, avant de manger ? Ça laissera le temps à notre Jaahl de te préparer un bon petit plat.

Il y avait certains repas qu’Eymindalë aimait.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

La sylvaine promenait son minois de diva qui s'ignore, de la fille lointaine aux expressions avenantes qu'on pourrait vouloir pour bonne amie, mais ses yeux appréciateurs, proches mais voletant, s'attardaient sur la voluptueuse Roxanne. Eymindalë eut la pointe d'un sourire, ceux des ravissantes canailles qui savaient être sages - ou qui le faisaient croire.

Elle se lova si près de la rousse et, après un temps à étirer les œillades, ne bruissait que pour elle.

- Roxanne...

Sa voix était la brise chaude, la suavité du miel. Dans un cillement, ses ambres bifurquaient vers le couloir, avant de revenir mirer le feu et l'eau.

- Viens, lui fit-elle, sachant que l'égérie ouvrirait la marche.

Mais le temps se suspendit : l’Élu de Shanya se mit à chanter sa rencontre avec une divine sirène. A la fin de l’envoi, Eymindalë plissa les yeux (elle savait bien faire ça), puis eut un murmure pour la rousse.

- C’est de toi qu’il parlait, non ? (Hésitante.) L'autre fois, dans le parc, je te croyais, moi, être une déesse.

Elle avait l'air de se le demander encore. Tu as tout de la plus parfaite des renardes.

Envoûtée par la sylvaine (ou jouant fort bien l’apparence), Roxanne n’en était pas moins sensible à l’Élu, qui usait de ses talents aussi charmeurs qu’entraînants. Elle s’approcha de lui pour susurrer des mots suaves difficilement audibles d’autrui. La belle jeta alors un regard endiablé à la ménestrelle, tout en effleurant la main du harpiste du bout de son index.

- Cette jolie elfe et moi… Je ne serai pas longue, m’accorderas-tu un peu de patience ?

Roxanne se rapprocha maintenant de la conteuse, gracieuse et chaloupante, puis inclina sa tête pour approcher délicieusement la pulpe de ses lèvres de son oreille. Elle lui saisit délicatement le poignet pour caresser tendrement sa main, comme glisserait un corps sur une draperie de soie.

- Oui c’est bien de moi qu’il parle, murmurait-elle, mais à cet instant je n’ai d’yeux que pour toi. Dis-moi où tu veux et je t’accompagnerai, et je me délecterai de tes jolis mots….

Virevoltante, Roxanne s’était positionnée maintenant face à la sylvaine, leurs lèvres s’effleurant presque.
« Presque. » Toute la vie tient dans ce mot.
Les joues de la sulfureuse s’empourpraient à mesure qu’elle chuchotait.

- Je me délecterai de tant de choses avec toi, tant j’apprécie ta compagnie, qu’elle soit charnelle ou platonique. Allons nous abandonner l’une à l’autre à l’abri des regards.

Ses yeux brillaient de désir. Ceux de la sylvaine luisaient des fortunes de mer.

- Hmm...

Elle dompta une mèche, souvent la même, derrière une oreille, fit un autre "hmm" et paraissait songeuse, ses yeux se promenant sur mille autre ici et un ailleurs.

- Roxanne, fit-elle enfin, voix douce et suave, mais sûre et bien posée. (Elle eut un battement de cils pour son aîné du collège bardique.) Je n'aimerai pas lui infliger ce qui ne me plaît pas, à moi. J'aime séduire et plaire, c'est vrai. Mais sans avoir à passer, ni avant ni après.

Je ne suis pas qu’une vague, même si, ici, tout n’est plus que naufrage.

Ses yeux d'ambre taisaient leur supplique de ne pas insister. Elle ne dit rien de plus. Ça suffisait.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

La sylvaine parut songeuse. Ses questionnements la rattrapaient. A triturer une mèche ondoyante, la rabattre derrière une oreille, elle partait loin d'ici. Ses deux ambres le disaient en glissant sur tout, sur rien.
Ses lèvres avaient bruissé pour Roxanne, sa mine affleurait vers les ailleurs, mais ses racines restaient là.

Sur les nœuds du bois des tables, la chaux qui cimente les murs. Tous ces passages du temps. A quoi est vouée la maison qui renie ses fondements ? Pour quoi peuvent vivre les bardes, dans un monde qui les meurt ?

Après un moment, peut-être même un long, elle apostropha le héros retiré.

- Jaahl, s'il-te-plaît... Tu voudrais que je chante quoi, allez, dis-moi ?
Comment un ancien soldat du Fort survivait à ses tortures en s'accrochant au désespoir ?
Comment les enfants brumois se mettent à aimer une sylvaine après qu'elle conte les aventures d'une tortue ?
Comment... sur la jetée, les pieds nus sur la grève, je parlais à mon père porté par l'océan ?
Comment à Brumevent j'ai failli tout y perdre, d'abord les oreilles, avant d'aller défendre auprès de la comtesse la liberté de l’archer-sentinelle ?
Voudrais-tu bien Jaahl, voudrais-tu, s'il-te-plaît ?

Le tavernier souriait encore des roucoulades de Roxanne face à Eymindalë. Après avoir contemplé les deux beautés, il s'adressa à la sylvaine.

- Vas-y, je te donne mon aval. Égaie-moi donc cette taverne, fais ton choix !

Mon choix… Qui se souvient, ici, du prix qu’il en coûtait à offenser les collèges bardiques ? Du tabou qu’il y avait avec ce qu’ils charriaient ? Les mânes vont dans leurs pas, vos aïeux, les histoires qui ont plu aux dieux, celles dont les courants du temps veulent qu’on se souvienne…

Elle parcourut l’assistance et fut frappée par ce qu’elle put lire sur leurs visages, leurs figures.

Personne ne se souvient, non. Moi moi, je peux vous lire. Vos épaules parlent. Vos rides, vos yeux, les plissements de vos lèvres. Je vois tous les esprits qui vous peuplent et vous lapent. Leurs longs doigts sur vos crânes, leurs langues sur vos nuques.
Ils se souviennent, eux, des satires bardiques.
Hmm.


Elle regardait encore, bien au-delà de leurs chairs, ce qui imbibait tous ces êtres. Les clients. Les passants pour manger et boire. Les échoués sur le rivage d’une vie tempétueuse.

Je vois tellement vos peines, vos secrets, et je me souviens encore de ce qu’est la Charmante-Vie.
(Elle se résolut à leur faire un présent, sans en signaler l’honneur.)
A vous. Signé moi, votre amie qu’on ne dit pas.
Hmm.


Alors elle leur parla les langages de son art, en faisant traîner les phrases de sa flûte de pan. Billy et les marins qui dispersaient les quelques pièces difficilement gagnées en mer se retournèrent vers elle. Si le silence religieux était un Graal légendaire en ce lieu d'insouciance. La sylvaine réussit toutefois à faire porter ses instruments, voix et flûte, gestuelle, inspires et expires, par-delà les railleries les plus crasses de la taverne de Jaahl.

Hmm. Vous avez tout oublié des collèges bardiques, mais vous aimez notre art encore. Et la Charmante-Vie aussi : dans la nuit noire, faire naître la lumière pour se réchauffer ; sous la lumière aveuglante, un peu d’ombre pour ne pas brûler.

Elle les fit rire et sourire, en contant Caroline. L'histoire passionna ceux qui avaient encore assez de jugeote pour en apprécier l'intelligence, pendant que d'autres se consolaient sur sa plastique. On louchait sur ses jolis petits seins, sur ses hanches de butineuse.
Les strophes s’enchaînaient et les verres se vidaient.

La porte s’ouvrait sur de nouveaux entrants et une brise marine s’engouffra dans la Biche d’Or, jusqu’aux narines d’Eymindalë.
Shanya, c’est toi ? C’est Charmante-Vie ?
C’était à son père qu’elle pensait plutôt. A la mer. La grande vague. Les îles fracassées.
Namatys ?

Elle cilla.
Hmm.
Je pars comme toi face au grand mur d’eau, Namatys, puisqu’être barde, ce n’est plus rien d’autre que ça. Une grande vague. Elle vient : poésie. Poésie. Hmm, putain de poésie. Pour que la mer se souvienne.
Et puis elle déferle. Chant de vague. Trou noir.


Elle réalisa après un instant que le néant qu’elle croyait observer n’était que le regard du monial, qui s’entêtait à imprégner ses pensées en berne. Elle n’y échappait pas : quand le vide disparaissait des prunelles du demi-elfe pris dans sa mémoire, l’étendue de toute sa création irisée faisait l’effet d’un puits sans fond d’arrogance et de vanités.

Trou noir. Ni elfe ni humain, mais du pire des deux races.

Elle s’extirpait de cette vision décevante pour revenir à l’ici, portée par le fil conducteur d’un monde chiant sur les collèges bardiques. Mais les gueules cassées de l’assistance avaient ce truc qui l’émouvait, ces embruns de naufragés. Vous avez tout oublié, mais vous le savez bien. Hmm.

Elle inspira, lentement. Je vais jouer pour vous, parce que… Paupières closes, voile noir.

Bec aux lèvres, la sylvaine faisait entendre les mélopées de sa flûte de pan et, à mesure que ses airs se gorgeaient de mystère saupoudré de gravité, elle se levait, étirait les phrases, les laissait résonner, s’étendre, envelopper.

- C’était au bord de mer, je regardais les flots…

Elle chanta sa mélopée, plus mélancolique, comme un bateau qui tangue sur une houle mouvante, où les cœurs des marins embarquèrent, aux côtés de l’âme de son père. Certains vérifiaient à leurs pieds que l'eau ne venait pas les mouiller.

Eymindalë salua Jaahl en levant la main d’un verre imaginaire, pour signaler la conclusion de son récit, laissant un long silence peuplé des émotions des gens de mer. C’étaient des respirations grosses comme les roulis, des souffles denses comme le discours des vagues.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Prise dans les remous de son chant peuplé de vagues, l’affluence de la Biche d’Or se noyait dans des regards naufragés.

Ah, merde… Je vais vous ramener sur la grève, et au chaud en plus, les filles et les gaillards ! La lame de fond, l’oubli, c’est à nous seules qu’elle est promise, les putains de bardes. Vous…

Elle haussa les épaules.

- Ô Biche d’Or !

La sylvaine se levait et radiait d’un sourire battant, doux, rayonnant. Comme mon père avant la vague. Ses cils mimaient le vent. Elle croisait un regard et étirait ses lèvres en faisant oui du chef, comme si on lui avait demandé quelque chose sans mot dire. D’une gourmande inspiration, ses ambres pétillaient déjà.

- Ô Biche d’Or, allez, viens, je t’emmène au voyage ! Vous tous, même : vos chausses sont bien trempées. (Il y en eut un ou deux pour grimacer comme si c’était vrai de vrai.) J’aurais pour vous périple, et pour périple Shanya. Dans ma longue pérégrine, elle était avec moi, dans la Cité des sables, la lointaine Balamoun, où au cœur du désert, j’étais seule en l’arène.

On va se sécher là-bas.

(Un discret soupir.)

- J’essayais de bien faire, mais je m’y ennuyais : Nisha ne me répondait à rien, il faisait chaud et lourd… J’étais près d’elle dans la loge royale, lors du mariage de Pharaon, là-bas, où le soleil… Ah !

(Revers de main sur le front.)

- Ô Biche d’Or, écoute, écoute oui, et viens, mais abreuve-toi aux verres que l’on te sert ici, car les sables assoiffent !

(Elle eut un geste pour l’assistance, un clin d’œil pour Jaahl, et fit sonner sa flûte de pan, emportant vers l’orient et les sables ardents.)

- Gens d’ici, soyez prêts ! Verres levés, buvez bien, laissez-moi vous emmener...

(Et soudain, les voiles du temps parurent tourner autour d’elle, à en croire ses yeux intenses, scrutant l’obscur au-dessus de toutes les chaises. Elle semblait y voir constellation et, d’une main en compas, en lire les tramées d’étoiles.)

En la Cité Radieuse,
(fit-elle pour personne et tout le monde, voix suave et subtilement mélodieuse, déclamant comme s’il n’en avait été de rien)

Près des rives onctueuses
Je venais sans bannière, instrument, ni prénom
Et le Peuple aux Arènes, si sûrement, par passion
Me voyait sans mirage… Je le vis si sagace
J’en comprenais l’adage, le secret perspicace

Près des rives onctueuses, en la Cité Radieuse,
Elle inspire foules nombreuses,
La Souveraine Merveilleuse

(On entendait les majuscules)

Elle est Soleil et Grâce
Le Miracle
Et les Astres
Et les rives onctueuses,
Seules
Peuvent être mélodieuses,
Pour la Cité Radieuse, la Souveraine Merveilleuse.

Nisha…

(Elle le dit comme d’un souffle, et joua de la flûte de pan pour l’évoquer en musique : la princesse envoûtante, fascinante, elle qu’on voudrait approcher, elle qui, proche, reste distante, là-bas, en Balamoun.)

On croirait au grandiose,
Dans l'attente aux arènes,

Un chant bref
Mais épique
(une moue subtile, mouvement du dos de la main)

Et voici qu'on y ose
D'un anathème sans thrène
En faire non pas une prose
Mais un chant sans sirène

Sombre nef,
Éthylique.

Bois… (Et ce fut un murmure.)

(Elle tira quelques phrases soufflées de son instrument, dansant comme l’on charme les serpents.)

Clair de lune
(pause)
Scintillent runes
Depuis la hune
Je vois les dunes

(Fraction de temps ; elle reprit la parole, poétique, mais l’air inquiète)

La Cité est Radieuse
L’épouse siège, impérieuse
L’atmosphère, mystérieuse
En l’arène… Insidieuse

Balamoun, soleil lourd
(Un revers de main essuyait les souvenirs des perles à son front)
Bois… (Un murmure, si audible)
Balamoun, ses atours
Bois… (Le même tour)
Se clament sans tambours
(Geste)
Ses mirages ses... détours
(Boire)

(Pause ; étude de ces astres qu’elle seule avait l’air de croire au-dessus des tables.)

Après un court éloge
Me voici en la loge
J’y crains que sous les toges
Machinations s’y logent

(Elle baisse la tête, domestique une mèche, derrière l’oreille et joue de la flûte, pleine d’un transport qu’on croirait amoureux, empressé.)

Et je voudrais t’y plaire
Que mes chants et mes airs
Sachent te satisfaire
(pause contemplatrice)
Shanya aux Yeux Pers
Bois !… (La promesse qu’on susurre.)

(Un inspire, un expire ; ses battements de cœur gonflaient, son rythme décélérait, comme devant une splendeur.)

Je voudrais tant savoir
Shanya, bien les voir :
Coulisses attentatoires
Au mariage tout en gloire…

Boire...

(Sa gestuelle changea, la posture de son corps aussi : elle avait l’air sortie de l’Eymindalë vivant dans ce fragment d’éternel, pour faire un aparté, une confidence volée, à coups de notes envolées.)

Je m’inquiétais
Je redoutais
(Boire)
Entre leurs corps
La retenue
(Boire)
Et en mon for…
(On entendit les points de suspension charrier bien plus que les mots)
L’Amour qu’on tue

Car...

(D’un mouvement ralenti, elle retrouvait sa pose, celle de l’Eymindalë qui vit et revit le trouble indicible qu’elle faisait poésie : toute sa flûte le disait.)

On écrit des promesses, on les grave sur le sable
On les croit éternelles comme union d’allégresse
On en ressent des ailes comme les embruns paraissent
Mais la vague progresse, aux entraves instables

Boire…
Boire pour encore mieux voir
Boire pour encore moins voir
Boire…

(Sa flûte envoûtait, mais disait bien d’autres choses. Cette sylvaine parlait aussi derrière les mots.)

Mille-et-une nuits d’ici (mouvement de main vers l’ouest)
Aux frissons indicibles (visage se tournant vers l’est)
Et les vies sont miscibles
Aux calculs indécis

(Elle fit non, de la tête, et se déplaça vers le comptoir comme s’il était loin d’elle.)

Boire…

(Elle tendit la main, doigts langoureux.)

Éclaire-moi Shanya
Claire-voie, ici là
Où se trament les abois
Contre les mânes des rois

(Elle joua de la flûte un air trouble mais beau.)

Je pense à toi si souvent, Shanya
(et c’est Roxane qu’elle mirait)
J’aimerais tant que tu me vois, ici-bas

(Elle zyeutait maintenant les cieux, par-delà les plafonds ; puis ses mains et ses bras ponctuaient sa cantate, tantôt d’une arabesque, tantôt droit à l’appui de son cœur.)

Te complaire aux quatre vents, Lyre et Plume
Tisser des mots émouvants, pour costume

Mettre à nu tous les tourments, Shanya
Créer mes vers comme onguents, guérisseurs
En rendre tout le monde gourmand, des mantras
Faire naître sourires élégants, aux âmes-sœurs

Et boire, boire la vie, les histoires… Boire !

J’aimerais répandre Charmante-Vie, Shanya
Cette sensation si jolie, épanouie
Qui met bas les ponts-levis, gloria !
Comme une glossolalie, inouïe

Forgeant des rires aux éclats, Shanya
Incitant aux…

(Fausse pause, sourire d’une fausse ingénue, amatrice d’une exquise insolence. Murmures poussés, escortés d’un mouvement des deux mains appuyant sur une tête, implicite:)
Hmm, là, là, bien plus bas
(Elle eut alors ce sourire des femmes illuminant leurs traits pendant l’amour)
Voici mon apostolat, celui-là
Confinant aux danses communes, aux ébats

Boire… Il fait chaud.

Je hume le sable
Ardente Balamoun
Et je sens la mer

Boire...

Lointaine, la lune
Sa claire étreinte
Berce les rêves

Boire !

J’écoute le vent (geste de main)
J’en perds mon souffle (main sur poitrine)
Mais, mieux, je respire (voix d’une délivrance)

Boire...

Le monde est une foule (mouvement embrassant les chaises)
Un océan sage (regard mystérieux, avant qu’elle n’ajoute, d’une voix de sibylle)
Nos vies, beaux naufrages

Boire !

Le soleil, si loin
Nous brûle sans gêne
On l’aime pourtant

Bois...

Je pleure son absence (main sur le cœur)
Mais en sa présence
Ressens la distance

Bois !

Battement de cil
Le temps suspendu
Fragile éternel

Boire… Comme le gosier qui sait.

Des mots disent long
D’autres ne sont rien
...
Entre eux, les soupirs…

Boire...

(Elle porta lentement, geste aérien, sa flûte de pan aux lèvres, et joua pour faire boire, voire… entendre derrière les mots.)

Les vieux marins avaient bu et bu, comme s’ils avaient vu et vu la mort au milieu du désert sans fin tandis que les jeunes loups-de-mer avaient noyés leurs cauchemars de cette mer de sable. A la fin, nombreux avaient été ceux qui n'avaient plus l'esprit assez présent pour remercier la sylvaine, quand d'autres embrassaient déjà le zinc pour rejoindre Shanya en rêve.

Eymindalë annonçait à Jaahl qu’elle prenait l’air, quand un jeune humain aux allures de tout frais baroudeur l’applaudit et fit une remarque.

- Balamoun a l'air d'une belle cité perdue dans la mer les sables mais est-ce qu'elle existe vraiment ? Serais-tu en train de nous faire rêver ? Et puis la souveraine Nisha, jamais entendu parler ! Mais en tout cas, merci pour la poésie.

- Eymindalë Lomorwenn, fit-elle en guise de salut, pour demander son blaze. Mais c’est trop subtil, trop peu comprennent ce genre de trucs. Moitié Forêt, moitié Baie, enchaîna-t-elle.
(Ses yeux plissèrent, malicieux.)
Et tu as déjà entendu parler de Phalsénore, d'ailleurs ? Elle était connue ici, à échelle de temps d'elfe.

(Elle cilla, perplexe et incrédule, rechignant à se mordre les lèvres pour retenir l’étonnement.)

- Par mes fesses, Balamoun, Nisha, des inventions ? Mazette, tu vivais où ?

Le jeune gars répondit, après une seconde de réflexion.

- Pas très loin d'ici, je suppose, enfin, je crois, enfin bref, c'est pas très loin du port normalement. [Puis changeant de sujet.] Phalnéore, Balamoun ? Je crois avoir vu une fresque dessus, maintenant que j'y pense. Mais j'ai juste un peu oublié.

Et soudain, l’Élu de Shanya fit entendre sa harpe et son chant. La sylvaine fit comme tout le monde, à écouter et se laisser mener, avant que la porte n’attire son attention.

Une femme aux cheveux de jais entrait dans la taverne, d'un pas irrégulier. Malgré une certaine prestance, sa mise semblait avoir été éprouvée récemment. Lorsqu'elle clopina d'une démarche légèrement boiteuse vers le comptoir en prenant ci et là appui sur les chaises et les murs, il apparut clair au tout-venant qu’elle revenait d'une longue escapade en-dehors de la ville.

Une fois à hauteur de l'aubergiste, la jeune dame se hissa sur un tabouret, souffla longuement d'aise en savourant son immobilisme nouveau, et attrapa l'aubergiste du regard.

Si elle avait cherché celui d’Eymindalë… L’esquisse d’un sourire en coin, la sylvaine étudiait cette brune au menton tatoué. Dans ces yeux noirs à fendre la mer en deux : la gravité. Hmm. La gravité.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

La brune au tatouage écoutait distraitement les chants et musiques de la taverne. Toute son attention semblait portée sur le tavernier. Elle finit par échanger longuement avec lui, sous le couvert des notes et du brouhaha environnants.

C’est précisément le même abri d’ambiance qu’avait choisi la sylvaine. Elle jouait de la flûte de pan en se déplaçant, faisait halte ici, là, ailleurs pour faire entendre sa mélodie et, tout en paraissant finalement ne rien faire rien d'autre que se joindre, à sa manière musicale, à l'ensemble des conversations, elle traînait de moins en moins loin de l’inconnue et de Jaahl. Elle tendait son oreille fine. Ils parlaient de quelques secrets liés aux maux frappant les magies.

Hmm… J’ai un message pour toi, mystérieuse.

- Ohé Biche d’Or, ohé Jaahl !

Les notes de flûte de pan jouées telles un prélude avaient attiré l'attention d'une taverne toujours bien remplie. Les clients avaient attendu la sylvaine. Elle s’en assura bien, l’énigmatique aussi. En effet, sentant le regard insistant de l’elfe troubadour, la brune détournait la tête de l'aubergiste le temps que celui-ci réfléchisse à une réponse ; elle soutint avec désinvolture le regard qui lui était adressé.

- Je ne chanterai pas les suites des aventures de Caroline maintenant, mais un peu de Brumevent… Car si je suis sylvaine et qu’au village, on hait mon engeance à vouloir m’y lyncher et couper les oreilles, c’est pourtant en Brumevent que je pensais trouver mon regard sur l’Odyssée.
C’est une histoire particulière, mais peut-être qu’elle peut parler à tout le monde, car c’est surtout une histoire de regard. Et l’on en a tous un.
Un peu comme le songe d’un chevalier errant. On en a tous un et parfois (c’est la brune qu’elle regardait, avec une œillade sibylline), on peut le partager.

Alors...

Je me souviens Brum’vent comme d’un rêve enivrant
Une fragrance
Des senteurs
Une faïence
Des chanteurs
Je me souviens Brum’vent tout en le découvrant...

(Long inspire.)

Tant chantaient Orlahir et l’âge cosmogonique,
Tant chantaient la Genèse sous les brumes agoniques,
Mais moi, je me souviens Brum’vent,
Comme j’hume un air enivrant

(Elle fit une infime pause, le temps d’une brève œillade. Tu as dans ta gestuelle, ce regard noir, ce qui s’était fait rare. La brune l’observait, élégante, sobre. Elle écoutait les paroles contées et semblait même apprécier l'instant musical derrière son apparent détachement. Eymindalë reprit, comme les chattes se détournaient, pour mieux venir plus près.)

- Je me souviens Brum’vent par sa géographie :
A la croisée des routes s’observent les éléments,
Les terres que bétail broute,
Le vent comme supplément ;
Les vergers en orfèvres, le travail de la glaise,
Le lac trempant ses lèvres,
Les montagnes, leurs falaises,
Et le labeur des hommes, qu’il soit d’arme, d’art, de sueur...

Hmm…
(Elle opinait à elle-même.)


Et ce feu qu’on ne nomme
Cette alarme
Dard
Frayeur

Là-bas, aux terres incultes
Là-bas...
Murmure...
Tumulte...

(Elle donna trois phrases de pan avant que la flûte ne quitte ses lèvres.)

Je me souviens Brum’vent comme la flamme dans le vent :
Cible de tant d’assauts des quatre horizons,
Citadelle s’écrivant
Soleil et Lune levant,
Courage, Cœur pour vassaux, distillent leur guérison

Hmm…
Hmm.

Je me souviens Brum’vent comme ne le dit nul chant
A la hune, en vigie : elle rampe la sombre nuit !
A la lune, je le dis : les haines amènent charpie !
Et chatoyante Brum’vent, les maux coulent, viennent, prêchant
Aux âmes de tes enfants,
Aux villages de tes gens,
Susurrent froides comme harfangs,
Suppurent maux affligeants...

Hmm…
(Mouvement de nuque, cheveux faisant la vague.)

Toute la beauté de ton âme,
Brumevent
Vient que tu repousses l’infâme,
Brumevent
J’allais hier en tes terres,
Brumevent
J’y recevais la colère,
Brumevent
En ta taverne ce matin,
Brumevent
Tes enfants m’offraient câlins

(Elle s’adressa à la Biche d’Or comme d’un aparté.)
- Si, c’est vrai, c’est parce que je les charmais avec les histoires de Caroline, la tortue.

(Nouveau mouvement de nuque, puis une phrase énigmatique soufflée de sa flûte de pan.)

- Aux épines succède satin,
Brumevent

Leurs rires...
Étaient...
Cristallins...

Hmm...

Ta terre recevait mon sang,
Brumevent
Et ta terre m’offrait sa sève...
Lorsqu’hier je me relève,
Brumevent
Ton air m’infusait, puissant

Tes enfants m’offraient câlins
Brumevent
Leurs rires étaient cristallins

Je me souviens Brum’vent comme de ce rêve enivrant
Où les heurts les plus véhéments,
Les veines des cous gonflants, déments,
Ne peuvent pas tarir tes vents,
A leur souffle d’âme fervent

Hmm !

Je me souviens Brum’vent comme ce rêve inspirant
Que je portais avec moi,
Là où Pharaon est roi,
Là où le sable est paroi,
Brumevent m’était émoi,

Je me souviens Brum’vent comme rêve de printemps,
Là où le cœur se sent seul,
Là où l’on cherche un chez-soi,
Là où mon étreinte échoit,
Près de ton odeur tilleul

(Elle inspira, sans tapage, yeux mi-clos, comme si la senteur était partout et nulle part, en chaque endroit où elle en convoquait l’effluve.)

Je me souviens combien tes arbres fleuriront
Et la lumière, tu sais bien,
Chatoiera sur tes chanfreins.
Je me souviens que demain tes enfants riront,
Brumevent, tu sais bien, leurs rires sont ton refrain



A leurs rires
Ton carillon
A leurs sourires
Tes sillons

(On put croire que c’était fini ; elle prit une sonore inspiration, enflant les narines de son nez fin.)

Dans ton écrin de brumes, il est là sans les dunes,
Le Soleil comme une rune
Te voir est bel agrume
Et quand la gente Lune scintille le soir qu’on hume,
Délicate, ton écume
Transporte une note immune

Dans ton écrin d’iris, tout est là en délice :
Des chevaliers la lice,
Les neiges qui ne crissent,
Dans tes yeux là jaillissent, de tes éclats matrices
Ce Brumevent, Protectrice,
Dont je me veux complice

La douceur du cristal,
Mais sa fragilité.
Cantique montant des stalles,
En sensibilité

Brumevent !
Comme les rêves chantent...
Brumevent !
Comme l’Art les décante...

Brumevent
Comme d’une évanescence
Brumevent
Perdure ta résilience

(Délicatement, lentement, inexorable, elle sourit ; lors, son poème aussi.)
Si Brumevent n'était pas terre de marins, nombreux sont ceux qui s’étaient retrouvés dans l’évocation d’un chez-soi lointain qui se refuse à vous-même. Un lieu que l'on idéalise et qui, quand bien même les défauts l'accablent, ne saurait être un autre. Les dernières notes retentissantes avaient été suppléées par quelques applaudissements bien nourris.

Une fois la représentation finie, la brune sourit à la sylvaine et se retourna vers le comptoir. Puis en guise d'invitation elle fit glisser une bière à la place inoccupée à côté d'elle.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Une fois rejointe au comptoir, l’humaine adressa un regard entendu à Jaahl et accueillit Eymindalë avec un sourire en coin.

- Belle prestation, bravo. Très à propos.

Elles échangèrent leurs noms. J’apprécie bien le tien.
La brune laissa un bref instant la discussion en suspens, peut-être pour se laisser le temps d'observer la ménestrelle plonger les lèvres dans sa mousse.

- Je rapportais à Jaahl des nouvelles de mon périple...mais sans doute le saviez-vous déjà ? ajouta-t-elle en haussant les sourcils avec amusement.

Eymindalë se pencha à peine en arrière, pour dégager sa nuque. Elle murmurait avec grande précaution.

- J'ai tendu l'oreille, c'est vrai. Mais je n'ai pas compris grand-chose, minora-t-elle, hormis qu'il était question de la troupe menée par ce moine – dont elle dit même le nom.

Ton prénom ferait mal à un chien.
La brune n'ajouta rien et se contenta de parcourir le tatouage de son menton de l'index jusqu'à ce qu'une autre identité ne l'interpelle.

- Ça, je comprends pourquoi, poursuivit la sylvaine. Je connais leur objectif et c’est la place des bardes. J’ai donc voulu les suivre. (Sourire rosé.) Le nain dragonnier, lui, menaçait « non ».
Ton nom est celui d’une plaie, qui saigne et qui suppure.

Elles discutèrent longuement. Concentrée sur l'objet de la discussion, la tatouée aux cheveux de jais se déraidit progressivement. Elles prirent repas ensemble. Elles s’entendirent pour voir le maître-marchand, dans la grande halle. Et elles parlèrent encore, au cœur de la Biche d’Or.
Eymindalë saisit le passage d’un silence douillet, songeant les mots faits pour peindre la saveur que la brune donnait aux instants. Elle trouva et se tut, front baissé, pour sourire aux secondes.

Quand la grande vague se lève, avant que tout soit nuit, se découvrent les merveilles qu’on croyait enfouies. Elles se taisent, ne disent rien : l’univers parle pour elles et tout s’éclaire, tout brille, juste avant la grande nuit. Celle où les bardes s’effacent.

Shanya fit commentaire : un vent s’engouffrait dans la taverne, une brise fraîche gambillant sur la sylvaine, caressant sa peau claire.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Devant les portes de la guilde, la brune et la sylvaine vinrent grossir une petite troupe formée autour du maître-nain, Morgrim Ecudor. Tirant une bouffée de sa pipe, il fronçait les sourcils tout en conversant avec la meneuse d’un équipage, une rousse.

- Or donc ! Le Bri'sa est de retour. Comment s'est passé ce premier voyage ? Sous de bons auspices, je suppose vu qu'il est revenu à la Baie. C'est très bien ça. Il faudra que je fasse un saut aux quais pour voir de quoi il a l'air ce navire. C'est la fierté de la Guilde, vous savez ! Bon.. quant à vos caisses, ma foi... il faut que je voie ça avec mes contremaîtres, j'avoue qu'il y a tellement de denrées différentes qui passent par ici, que je ne sais pas trop où elles se trouvent actuellement."

Morgrim Ecudor héla un de ses commis qui passait par là.

- Toi l'ami ! Vas donc voir à l'intérieur ce qu'il en est des caisses pour le Bri'sa ! Au trot !

Le regard du nain se posa ensuite sur celle pour qui l’univers parlait dans les silences. La brune.

- Oui oui, je me souviens de vous, ne vous en faites pas ! Laissez-moi juste le temps de régler cette histoire de caisses et nous allons pouvoir parler tous les deux.

Visiblement, la cargaison était perdue dans l'immensité des denrées. La rousse fit bonne figure : elle croisait les bras dans son dos et bombait le poitrail, patientant donc, tempérant même l’un de ses compagnons, une jeune humain à l’air un peu revêche.
Il avait cette façon de ceux qui se feraient ouvrir le bide pour vous, s’il mettait son épaule, bras croisés, contre la votre, comme ça, là, avec la même mine renfrognée et casse-cou. Il y avait aussi une fille, toute jeune, yeux vifs, de belles fossettes rieuses, qu’il reluquait parfois, et pas toujours en douce – elle le lui rendait pas trop mal.

Soupirant et laissant au capitaine le bon soin de discuter avec Ecudor, la femme des mers jeta un regard oblique en direction d'Eymindalë, surprenant l'un des regards intenses que l'elfe lui lançait. Après un temps, elle pivota d'un coup dans sa direction et s'avança. En trois grands pas, elle fut sur la sylvaine et, avec un sourire désarmant, elle lui tendit une main ouverte en guise de salut.

- Y a un souci avec ma tronche ?

Du bout de l'index, elle releva légèrement son tricorne vers le ciel, permettait à la lumière du jour d’inonder un peu plus son visage. Ses yeux verts étaient rivés sur ceux de Lomorwenn.

La sylvaine souleva un sourcil en lui prenant la main. Elle se pencha en avant, inspecta le visage, se redressa, l'air formelle... Et avec l'inexorable soudaineté des sourires de canaille se révélant dans les manières d'une diva qu'on jurerait s’ignorer, elle s'éclaira.

- Quelqu'un t'a bien dit ça un jour ?

A la réponse de l'elfe, la femme des mers afficha un large sourire de requin. Elle secoua vigoureusement la main d’Eymindalë et répondit.

- Les seules personnes à m'avoir dit ça ont voulu soit me tuer, soit me prendre. Seul l’un d'eux a réussi son objectif... répondit-elle d'un air laconique autant que malicieux.

Demi-sourire de connaisseuse sur ces objectifs remplis, la sylvaine lorgna sans fard ses lettres tatouées, s'attarda sur un poignet en faisant "hmm."

- Des souvenirs d’événements et de personnes avec qui j'ai vécu, disait la rousse sobrement, en commentant les mémoires de sa peau.
Reportant son attention sur Eymindalë, elle lui donna son nom, avant de rajouter :

- Et toi dans tout ça ?

Ô Charmante-Vie, la vague arrive vraiment, et les merveilles avec !

- Aaaah ! (Avec l’un de ces sourires ravis propres aux conversation de corps qu’on développait sur les ponts, Lomorwenn fit comprendre à Cat’ qu’elle connaissait ce nom et attendait depuis des lunes le moment d’en voir le visage.) Appelle-moi Eymindalë. Eymindalë Lomorwenn. Puisque c’est comme ça que je m’appelle.

La sylvaine releva doucement la tête, comme qui humait l’air, jaugeait le vent. Les commis de la guilde n’avaient pas l’air de retrouver la cargaison du Bri’sa, et la fascinante brune conversait intensément avec Ecudor.

- Hmm. (Eymindalë regarda de gauche, de droite, scruta la rousse, plissa des yeux avec astuce après avoir relevé des signes d’impatience parmi les hommes de mer.) La mer prend parfois bien son temps, l’océan a ses heures. Puisqu’il nous faut attendre…

(Elle alla s’asseoir sur un tonneau, sortit sa flûte de pan.)

- Puisque la mer est là…

(Elle regarda les marins.)

- Patientons donc ensemble, le temps d’une chanson. Si, je vous en prie, vous verrez. Une déesse viendra un instant parmi nous, car Shanya n’est jamais trop loin.
Hmm.
Jamais trop.

Pourquoi les bardes s’effacent-ils donc ?

- Et vous ? (Elle désignait les marins, la rousse.) Vous connaissez Namatys ?

(La sylvaine eut le battement de cils et le sourire de celles qui savent que non, et ne laissa pas répondre. Elle tira quelques phrases de sa flûte de pan. L’air sentait les embruns, le sel, le lointain qui collait aux basques de chacun.)

- C’était au bord de mer, je regardais les flots
Ceux qui prenaient mon père dans les îles sous les eaux

(Une inspiration)

Boucanier, boucanier ! Où es-tu ?

(Elle paraissait absorbée ; dans ses yeux, le roulis.)

M’entends-tu ?
Hmmm…

(Elle baissait la tête.)

Les vagues mouillaient mes bottes
Je me souviens de leurs notes

(Elle joua de la flûte des accents de secrets, qui imbibaient tout l’air, comme les rouleaux amenant au rivage.)

- Mince… Ah !
(Elle soulevait les bottes, pataugeait dans l’imaginaire, mimant ses chausses détrempées.)

Je recherchais mon père aux embruns de la mer
Où il voguait naguère, avant la grande vague,
Celle qui finit les terres des boucaniers amers,
Enfin, c’est un mystère, peut-être que je divague…

(Elle cilla, recilla, faisant et splic et sploc
A force d’agiter là ses bottes humides d’un boc)

Ô marin… (Sa voix suave était profonde.)
Ô marin...

(Elle dompta une mèche en étrécissant ses yeux d’ambre.)

Sont-ils joyeux en-bas, à me mouiller mes chausses ?
Namatys est malice saupoudré d’un fin vice
Ô père ! Était-ce toi, mon aîné mon complice ?
Cette étreinte qui glisse, arrive, repart, se gausse ?

(Elle baissa la tête, relevait le menton, cherchait l’assentiment au frontispice de l’immense bâtisse, retombait sur les visages et les figures qu’elle pétrissait des cils.)

Ô marin… (Sa voix suave était profonde.)
Oh, marin...

(Et la flûte jouait des phrases chargées de houle, de sac et de ressac. Mélancoliques, mais dignes, elles avivaient ce que chaque humble, au fond de lui, connaissait : la gravité, mesdames, la gravité, messieurs, et la reconnaissance des âmes bosselées.)

Non mais, dis-moi le donc, vis-tu ici ou là ?
La grande vague amène sans fin ses larmes de sel
Mais si je prends une conque, entendrais-je ton glas
Ou le sort plus amène de ton rire éternel ?

(Geste pour la brune, geste pour la rousse, geste pour le maître-nain.
Et comme un étendard qu’elle portait à la hune, elle entraînait du geste le tangage des nuques qui voulaient bien la suivre.)

Vois comme ils sont glorieux, ces êtres qui vir’voltent
Moi que fais-je donc ici ? Je charme, je divertis ?
En plaisent à mes aïeux, je fais Charmante-Vie :
Chaque instant nous occit si l’on n’est désinvolte

Et mouvement indolent…
(Grand inspire)
Tu disais une sirène ?
(Yeux s’ouvrant grand)
Et tu voulais un chant ? J’aurais l’air d’une murène…

(Elle radiait d’un sourire, ni désinvolte, ni dérisoire, mais les deux à la fois et plus encore que cela. Ses deux ambres luisaient.)

Tu vois, j’aime faire comme ça : des rimes, comme l’eau s’ébat
Comme la chatte passant là, mais déjà bien là-bas.

(Pieds déchaussés
Sourcils froncés
Yeux vers le soir
Sourit sans fard)

Océan nous le dit dans ses airs, ses roulis
La réponse est dans l’âme et nos sels nous dédient
Le plus ondin sésame : lève en l’air, concilie
Charmante-Vie en édit et l’eau qui remédie

(Comme elle saluait Ecudor et épiait les marins, elle reprenait sa flûte et produisait ses airs.)

Bras croisés, la jeune mousse, la toute mignonne, avait affiché une mine rêveuse durant le chant de la ménestrelle et finit par y apporter sa propre touche de poésie :

- Dis donc, ça sonne rud’ment bien ! (Elle fait claquer sa langue avec une pointe de regret.) ‘Fin, ça s'écouterait encore mieux avec une bière à la main...

Bras croisés tout pareil, un truc de marin ma foi, la rousse l'écouta avec attention, hochant la tête au rythme de son chant. Lorsque celui-ci fut terminé, elle applaudit un peu fort et répliqua :

- J’connais pas d’Namatys. Par contre j'ai connu des troubadours. Tu vois ce F ?

C'était une lettre qui vivait sur l'un de ses doigts.

Tu vas pas me dire d’aller me faire foutre, non ? pensa Eymindalë, en plissant un front interrogateur et surpris.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit - 2] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

Cat’ désignait les lettres tatouées sur ses doigts.

- Flamme Chantevent. Aussi bonne ménestrelle qu’amie. Elle avait mérité sa place à l'instant où on s'est rencontré. J’connais aussi un gars. La Mano. Lui il s’ra jamais tatoué sur la main d’personne si tu veux mon avis… marmonna-t-elle.

- Hmm.

Il y avait là bien des histoires à faire venir, pour que les temps se souviennent, que les mânes des souvenirs trouvent leurs corps. Celui que nous, les bardes, créons. Tu ris fort, tu gouailles bien, mais le monde t’as tant imbibé. Tu dégorges de gravité.

C’est ce qui permet de ne pas s’envoler. C’est ce qu’Eymindalë se disait.

Les yeux comme deux fentes dont les ambres brillaient, la sylvaine sourit à la rousse. Elle tira des notes et des phrases musicales, aériennes, mystérieuses et prit son temps, avant de formuler son déni d’introduction.

- Shanya aime les chants qui sourient et ce qui luit. J’ai conté les aventures loufoques d’une tortue, j’ai pu faire ma dérision en allant dans le bourg de Sancte, produit les contes de Karamanga l’affreux, vaincu par la même tortue, ou du vil crocodile, vaincu par un simple enfant… Je pourrais faire déjà une belle chanson sur toi (à la brune) et même, déjà, toi (à la rousse), qui ferait rêver, sourire et susciter des vocations.

(Elle crut percevoir chez la fille des mers un intérêt prudent, qui demandait à voir, encore un peu. Or à qui savait voir, Eymindalë savait se découvrir, un peu et puis, encore un peu.)

Ces yeux verts-là savent voir, hmm-hmm, je sais.

- Je pourrais aussi faire une satire bouffonne sur un moine pénible et sa clique prétentieuse, car on n’offense pas une conteuse sans encourir le pouvoir porté par la magie des chants, sans souiller les aïeux qui nous suivent, la pesanteur des temps, sans commettre le tabou d’une offense faite aux puissances qui murmurent à nos oreilles, au surnaturel dont nous tissons les habits.

Méprise un barde, renie sa place : tu craches ta glaire droit vers le ciel, c’est lui qui te tombera dessus.

- Hmm. Mais Shanya aime aussi le contraste, et l’odeur du sel que retiennent les digues.
Elle sera un peu parmi nous, et le reste, et le reste… Je connais des souvenirs. Ils viennent un peu vers moi (vous parlez tous de muses et d’art, mais ce sont des puissances bien plus sombres – pour ce qui brille, il faut des ombres), quand je vous croise parfois.

Avec les cohortes d’esprits qui vous suivent, lapent vos pieds, lèchent vos cous. Si je leur donne leur place près d’un nom à chérir, ils vous protègent. Si je leur donne un nom pour qu’ils en mesurent les offenses…

(Elle releva le menton, augura un sourire qui fit briller ses iris d’ambre. Les phrases musicales évoquaient des vestiges et des brumes, que des rayons diluaient. La sylvaine partait loin et emmenait avec elle qui voulait bien. En éloignant la flûte, son talon prenait le relais en scandant ses sonorités contre le bois du tonnelet.)

- Entre les lames de la porte nocturne
Je vois les anges aux cheveux noirs
(Elle chercha l’expression d’Ecudor)
Les anges aux cheveux noirs

Ils sourient et m’appellent
Ils m’appellent et me prient

(Demi-sourire pour la marchande aux cheveux noirs de jais ; la sylvaine, elle enjôlait comme ça.)

Suzerain enténébré
Lumière asphyxiante

(Elle sentait autour d’elle les cortèges invisibles. Elle accéléra alors le débit, sans le faire encore rapide.)

Leurs visages sont derrière
Leurs canines font des ris
Leurs doigts sont en-dessous
Leurs griffes sur mes chevilles
Leurs langues sur mes mollets

Je fuis droit dans leurs gueules
Si j’ouvre la porte de lune

C'est trop
Trop puissant
Poussière
Lagon
Sang

C'est trop
Poussière, Sang

Lagon, Sang

(Elle tira des notes claires et longues, que le vent chantait même en sortant des tuyaux. C’était une brise fraîche près d’un ruisseau l’été, le souffle dans une vallée qu’on croyait encaissée mais ouvrait sur le ciel.)

Mais je devine ta main
Mais je devine tes yeux
Tes jolis yeux d’enfant
Tes attentes sur le sable
Et la mer
Et ton chant

Je naufrage mes croyances

(Vous qui oubliez tout… Elle mira les marins, et la ténébreuse. Peut-être pas toutes, peut-être pas tous.)

Chavire mes espérances...

Sous les runes de pierre,
Sous les roches étoilées,
J’ai niché mes bons jours
Dans les sillons du ciel...
Je te fais mon adieu

Je te fais mon au-revoir

Et j’aime ton beau visage
Jeune fille humant les fleurs

(Son talon martela subtilement la mesure de la prose qui s’étirait. Elle poursuivait, voix suave et chaude.)

Elles connaissent mon secret
Et dans mon jour sans fin
Je n’ai plus peur de rien
Car je ne peux rêver mieux
Que dériver vers toi
Sans atteindre ton rivage

Tes empreintes sur la plage

Que dériver vers toi
Mes passés, mes futurs
Comme les lignes tracées sur le rivage vierge
Comme les mots tissés du plus grand sortilège

Toi dont je sais l’image
Jeune fille cherchant son père
Et qui saisis sa main...
Dans le vent,
Dans le vent

Les fleurs connaissent mes mots
Qu’elles confient à ta peau

(Elle scruta les tatouages de l’une et l’autre)

Qu’elles confient à ta peau

Les poussières me connaissent
Mes secrets
Belle enfant
Lagon, Sang
Poussière, Sang

(Et la flûte jouait ses airs unissant l’ancrage et l’envol, pendant que son regard soupesait les traits, les battements du cœur, les inflexions d’échine.)

Ce fut là qu’une faible brise s'engouffra dans les ruelles de La Baie, dansa autour de la sylvaine, avant de pousser son souffle dans le dos de toutes, en direction de l'Océan, avant de refluer. Quand Shanya paraissait, elle se faisait subtile.

Le jeune marin avait écouté, mains au fond des poches. Lorsque les dernières notes s’éteignirent et qu’une légère brise fit se lever les souvenirs enfouis de la puissance des bardes, l’aspirant leva un sourcil interrogateur, surpris.

- C’tait joli, fit la rousse. Une chanson sur moi ? Tss faudrait que j’te raconte mes aventures. Si tu veux, ça peut s’faire, j’crois que ça m’plairait bien. J'ai vécu quelques trucs... dit-elle en retroussant une manche.

Sur le poignet, on pouvait voir tatouée une pyramide avec une tête de mort à l'intérieur.

- J'ai même combattu les crevés à Balamoun. J'ai essuyé des tempêtes, trouvé des trésors sur une île sauvage, voyagé chez les crevés et causé à des sirènes... si c'est des trucs qui t’intéressent j’te raconterais.

Eymindalë radiait, et c’était un beau oui.
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Eymindalë Lomorwenn
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Re: [Récit - 2] Naufrages [Chroniques de la Charmante-Vie]

Message par Eymindalë Lomorwenn »

La fille du vent reprenait.

- Ton moine là... pénible c'est pas dans leur nature ? M’ont l’air bien chiants... même si l’seul que j’ai jamais croisé à failli accepter d’jouer aux dés avec moi !
- Hmm…

Eymindalë oscillait, indécise, quant à savoir si cette anecdote de la rousse était un signe de la Charmante-Vie pour ne pas graver sur la pierre des mots le sort du moine et du dragonnier. Je les recroiserai un jour. Charmante-Vie, tu me diras. Elle n’en plissa pas moins les yeux, perplexe.
La marchande aux cheveux de jais échangeait toujours assidûment avec le maître-marchand.

- C’est mieux si tu me racontes, relança la sylvaine, en invitant la rousse.

Elle désignait un tonneau aux côtés du sien, avant un haussement de sourcils au passage d'un commis de la Halle.

- Et je crois qu’on a le temps.

(Elle souffla sur une mèche, avant de la domestiquer derrière une oreille, la même qu’assez souvent.)

- Tu connais l’archer-mage, la Sentinelle ? Il m’a parlé, deux ou trois mots, d’une rousse redoutable à Balamoun. Mais tu sais, moi… (Elle redoublait son invite.) Quand je peux choisir, je suis du genre à tout prendre.

(Elle étirait les lèvres avec une sibylline gourmandise, avec la fausse mais rassurante innocence d’une lune d’été.)

- Tout.

Alors, la fille de la mer et des vents raconta. Ses yeux verts brillaient et s’assombrissaient, ses traits s’éclairaient, tantôt de joie, d’excitation nerveuse, ou de peines vives. La sylvaine était issue d’une engeance ayant le long goût du temps, aussi écoutait-elle attentivement, battant une fois des cils à la mention de ceci. A la mention de cela, elle relevait le menton en laissant une mèche ondoyante souligner l’esquisse d’un sourire, entre celui d’une diva qu’on croirait notre amie et celui d’une canaille qu’on jurerait ne pas être, à la seule vue du minois.

La sylvaine écoutait donc la rousse et opinait du chef, emportée dans des ailleurs. Elle mira, pesa et soupesa longtemps la narratrice, sans se faire ni inquisitrice ni intrusive.

- Si je vis encore assez longtemps, fit-elle, tranquillement solennelle et sans l’ombre d’un doute, je te donnerai ta place parmi les légendes qui ne meurent pas, toi et tout l’invisible qui vit près de tes pas. Mais je devrais d’abord t’annoncer aux cortèges bardiques, pour que toutes les mânes, celles d’hier et demain, connaissent ton nom.

Dans un geste délié, elle passa le pouce sur les embouchures de sa flûte de pan, et joua des notes et des phrases comme le ressac des eaux, le langage de la mer et du vent qui apaisaient la grève avant qu’en retour, celle-ci ne délivre ses secrets. Quand l’environnement se modela d’assez de sel à son goût, elle continua son art, en l’accompagnant alors d’un talon battant une mesure travaillée et élégante, accessible toutefois, car sans sophistication inutile.
Alors, ses yeux d’ambre parcourent la maîtresse d’équipage.

- Ce n’est qu’un premier jet.

La sylvaine fit entendre sa voix, distante mais proche comme une lune d’été, calme mais immanquable, comme la brise faisant bruire les ramures dans la forêt le soir.


- Ferme les yeux, passant, vois-moi comme je suis
(Elle fit une demi-pause)
La terre de Brum’vent ancre bien… mes pieds !
Les blés rouge y sont miens, sur mes joues… ici !
Le souvenir, du sang, à mes doigts estropiés…

(Bom-bom, bom-bom, le talon scandait le rythme.)

Hmm-hmm, hmm-hmm
Oh ! Je suis celle
Qui vogue
(Une courbe de la main, index et pouce tendus pour mieux sculpter l’espace.)
Les flots

(Bom-bom, bom-bom, le talon scandait le rythme.)

Inspire fort, passant, sens-moi comme je vis
Les vagues océanes parfument mes… cheveux !
Et l’émeraude en témoigne dans mes yeux quand ils rient !
Le souvenir, patient, sur mes doigts signe aveu…

Hmm-hmm, hmm-hmm
Oh ! Je suis celle
Qui n’oublie pas

(Bom-bom, bom-bom, le talon scandait le rythme.)
Elle fit retentir deux phrases musicales, capables d’enrouler les nuques et d’attiser des échos en beaucoup. Quand elle reprit, ses paupières mi-closes invoquaient l’inaltérable.
Son balancement subtil en faisait une rengaine.
Sa voix était un murmure bien audible.

- Et ma main gauche le sait
(bom-bom, bom-bom)
Sur mon index, un H
Comme Harell qu’la mer cache

Les vagues en cénotaphe
(Bom-bom, bom-bom, le talon scandait le rythme.)
Sur mon majeur, un E
Comme Edhrard grand gaillard
Affrontant tintamarre

(Bom-bom, tim-dam, le talon variait le rythme.)

Sur l’annulaire un F
Flamme Chantevent, Ô Flamme !
Ta mémoire, mon calame

(Tim-dam, tim-dam, le talon faisait la boucle.)

L’auriculaire un D
Pour Drael d’l’Eternel
Ô fantôme fidèle !

Ô mes amis partis…
Moi qui suit la dernière !

Hmm-hmm, hmm-hmm !

Sur ma peau convertie,
Votre navire, ma bannière !

Palpite fort, passant, et attise leurs vies
Quand je ris quand je blague, que je t’observe… sans fard !
Que ma voix chaude t’alpague, que je t’aguiche… l’envie !
Le souvenir, puissant, m’illumine comme un phare...

Hmm-hmm, hmm-hmm
Oh ! Je suis celle
Qui vogue
Qui vit

(Elle clôt ses paupières, pour laisser parler, avec un balancement léger des épaules, les langages de sa flûte de pan. Quand elle arrêta, on vit venir la fin. Ses yeux s’ouvrirent sur la rousse avec l’envol de la dernière note.)

Les marins restèrent cois un instant. C’était celui où la sylvaine partit, comme la vague se retire. On la croit éternelle, et elle disparaît si vite. Par les prodiges bardiques, son esprit s’alarma d’un appel immédiat.

Elle les quitta sitôt, après quelques brefs mots. Sa route menait au Fort.
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