Jour étrange en terre brumoise

[Vent du Nord]

Un vent continu murmurait sa complainte sempiternelle entre les pierres sagement alignées, dans le feuillage bruissant des quelques arbres centenaires qui veillaient sur les lieux. De temps à autre, une bourrasque plus forte que les autres allait même jusqu’à arracher quelques grincements sinistres et les chuchotis redoublaient alors d’intensité, comme pour commenter chaque balancement de branche, chaque frémissement de feuille. Elle était douce et apaisante cette mélodie périodique qui semblait orchestrer la course lente des nuages et la languide dérive des écharpes brumeuses qui donnaient son nom au domaine de la Comtesse Orphandilia. Mais aujourd’hui, des notes dissonantes s’ajoutaient à l’orchestre naturel, des halètements, des éclats de voix – deux paysans probablement - , des bruits sourds qui se répercutaient entre les pierres muettes et oubliées.
« C’ b’in tôt fini-euh… ?
- Humpf ! On peut dir’ ça mon gars…
- On aura b’in bossé, hein ? Qu’on pourrait b’in s’boire de c’bon vin qu’ta grognasse de bonn’ femme t’a filé, qu’serait pas de refus, hein ? Ca donne soif que j’dis-euh…
- Hé ! Par Saint-Gérald ! tu s’rais pas en train d’faire injure à ma femme là ?
- …
- J’sais bin qu’vous aut’ vous la trouvez point jolie et pis qu’vous trouvez riant d’faire moquerie dans mon dos à ch’te sujet !
- Allez-euh j’voulais point d’vexer, donne donc-euh d’ton vin... »

Le plus vieux sortit du trou en grimaçant, jeta sa pelle sur l’herbe grasse et sortit finalement une outre aussi délabrée que lui-même de sous son fourbi avant de la tendre au plus jeune avec un regard noir.
« Qui c’est donc aujourd’hui-euh… ? interrogea l’autre en se torchant salement la bouche après s’être désaltéré.
- C’t’un lord que j’crois. Chais pas trop. Mouais. Nous a quitté y’a peu, j’crois. Hôrosis l’accompagne avec bienveillanc’ !
- Ah-euh… »

Un temps de silence s’installa et le vieux le mit à profit pour se rincer la gorge à grandes lampées généreuses, mouillant tout aussi généreusement le haut de sa chemise sale et déchirée.
« Bon allez, un dernier coup d’reins pis on rentr’ !
- Ouais-euh ! J’gage-euh que t’es pressé-euh d’en donner à ta grognasse des coups d’reins, hein ? ah ah ah ! »

Le vieux donna une torgnole violente au jeune et ramassa sa pelle en bougonnant, avant de sauter dans le trou.
Deux longues heures plus tard, les deux paysans avaient enfin vidé les lieux, emportant avec eux leur odeur d’alcoolique et leurs remarques grivoises. Le vent avait repris quant à lui sa course éternelle entre les pierres silencieuses et alignées. Un vent mélancolique aujourd’hui. Au loin, de lourds nuages s’amoncelaient, une morne luminosité recouvrait le monde de gris et de froid. Le vent forcit, arracha quelques feuilles crispées des arbres environnants. Il commença à pleuvoir. D’abord quelques gouttes lourdes et isolées. Puis le clapotement devint rapidement plus régulier, emplissant l’atmosphère humide d’un froissement continu et monotone ; de petites flaques se formèrent et grossirent rapidement, la température chuta encore. Au loin, un éclair zébra l’horizon. Le tonnerre tonna, ronflant dans les bronches comme une toux maligne. Un deuxième éclat lumineux fit battre brusquement en retraite les ombres du soir et creusa de noir les lettres gravées sur les pierres muettes. Sur la dernière posée là, devant la terre fraîchement retournée, on put y lire :

« Ci-gît Scardestin. »

[Kiriun]

La tombe était creusée
La dalle déposée,
Les ivrognes partis.
Restaient des PNJs.

"Sur qu'il n'est pas mort
La semaine dernière
Je l'ai vu au bestiaire
J'parie 10 pièces d'or
Qu'il y est encore."