Transfiguration

Par Arawn (Ex-MJ Royaume des Morts)

Le Royaume des Morts

Il existe un monde régi par des lois différentes. Un monde où la vie est conscience, où le corps est esprit, où le temps est espace.

En ce monde se rassemblent les morts, en attente de leur destinée, ceux qui reviendront, ceux qui resteront. Ils s'amassent dans ce lieu d'accueil, l'antichambre de la vie, sous leur forme la plus volatile: l'âme.

Les âmes déambulent dans cet éternel vide exigü, ce non-sens structurel qui n'a pas de limites et pourtant n'offre presque aucune liberté de mouvement aux consciences qui s'y trouvent.
Depuis un temps long, déjà, cette antichambre de la vie a perdu toute trace de son ancienne splendeur.
Elle s'est effondrée sur elle même, par un procédé aussi étrange qu'inexpliqué, et qui a débuté largement avant la disparition d'Hector d'Ariassie.

Lent d'abord, c'est une sorte de monstre qui a dévoré l'existence de l'antichambre et ses alentours, de plus en plus rapidement. Quelque chose s'en allait, se perdait, et Hector finit par disparaître lui-même, léguant l'antichambre à Lilith, la dernière Valkyrie.

Des âmes valeureuses partirent à la recherche du Chevalier, mais nombreuses sont celles qui échouèrent, et le temps s'écoulait, et la sphère de vie et l'antichambre perdaient de leur intégrité.

Jusqu'à ce que ce phénomène de destruction, cette tempête planaire, atteigne son paroxysme : sous l'oeil apparemment indifférent de son créateur, le Royaume des Morts fut ravagé par de terribles forces annihilatrices, qui endommagèrent l'antichambre au point de n'en laisser que des ruines, des décombres brumeux.

Là, Lilith fut frappée par quelque chose, et d'abord paralysée totalement, finit par s'effondrer, inanimée, morte selon toute évidence, morte en son propre domaine, morte parmi les morts.

L'heure de la fin de l'antichambre de la vie, lieu d'accueil de toutes les âmes au Royaume d'Horosis, semblait avoir sonné.

Mais c'est alors que, ramené des tréfonds de ce monde par quatre valeureuses âmes, Hector refit surface, accompagné de ses deux anciens compagnons, dont bien peu ont entendu parler par le passé: Arthos de Cair, dit le Brave, et Saetis d'Orchéa, la Digne.

Ces trois Chevaliers du Trépas arrivèrent juste à temps pour limiter les dégâts et sauvegarder la sphère de vie en la soutenant de toutes leurs forces, mais malheureusement quelque chose d'irrémédiable avait été commis, et leurs pouvoirs pourtant grands ne leur permettaient pas de rendre à l'antichambre sa beauté de jadis.

Une seule chose pouvait permettre d'accomplir ce miracle : un rituel ancien tombé dans l'oubli, qui rendrait l'existence à un être supérieur, Gardien du Sanctuaire de la Vie. Cet être saurait, lui, redonner à la sphère de vie l'énergie nécessaire, et la restructurer pour qu'à nouveau, les âmes soient accueillies en ces Halls avec le respect dû aux défunts.
Alors, un groupe d'âmes, volontaires, embarquées malgré elles, ou par pur hasard, se mit en quête des cinq Symboles de Vie nécessaires au rituel qui ramènerait le Gardien.
Un à un, ils les découvrirent, et ils affrontèrent les dangers de la sphère de vie, jusqu'à ce que finalement, au terme d'une épopée digne des plus grands héros, ils parviennent à accomplir le rituel, à réunir les symboles en un seul, et donner naissance au Gardien.

Ce sont ces mêmes âmes qui affluent désormais dans l'antichambre délabrée, et qui attendent, ou bien vont se recueillir près de l'autel où repose désormais la Valkyrie, Lilith.
Et voici que le fruit de leur dévouement fait son entrée dans l'antichambre de la vie.

Les âmes en présence commencent par le ressentir avant d'en avoir la certitude… C'est une présence d'abord floue, inqualifiable, qui arrive, drainée par les chercheurs de symboles, ou bien les entrainant avec elle.

Quelque chose de puissant et d'incompréhensible, quelque chose qui les dépasse. D'ailleurs, est-ce véritablement “quelque chose”? En tout cas, ça ne peut qu'être quelqu'un. Toutes les âmes sont assaillies par trop de sensations fantômes, trop d'illusoires émotions qui ne sont pas les leurs, trop de pensées étrangères, pour que tout cela provienne d'un être inconscient.

C'est comme si mille âmes avaient soudain fusionné, et acquis un don de contagion affective qui défie l'imagination. Mille âmes ? Non, ce ne seraient même pas de véritables âmes, le résultat serait moins différent de celles de l'antichambre. C'est un être composé de pensée, de vie, de mort aussi, c'est un être qui personnifie tout cela et pourtant n'en est rien.

Tous finissent par le percevoir par leurs yeux éthérés d'âmes, et son aura leur confirme que c'est une créature totalement étrangère à ce qu'ils ont toujours connu.
La terre, les cieux, le feu, l'eau : tout est en lui, et pourtant rien n'en fait véritablement partie. La pensée est maîtresse, et les heurte avec force, elle s'impose à eux, s'empare de leurs convictions, les absorbent, les font siennes…

La créature se nourrit des rêves des âmes, et les alimente à la fois. Elle dégage autant qu'elle aspire, elle renvoie autant qu'elle attire, elle offre autant qu'elle prend. Elle évolue sans cesse, assez lentement pour que les transformations ne soient pas visibles continuellement, mais assez rapidement pour qu'on les remarque à la longue.

Déjà, entourée de tant et tant d'âme, à leur contact, elle semble s'y conformer un peu, et les deux billes dorées qui flottaient au milieu de sa structure incertaine sont dorénavant entourées de traits fins, androgynes, volatiles et ardents. Un visage séduisant comme celui d'une femme au corps fait de sable (qui est-elle? une fugitive vision, rien de plus pour la plupart…).

Cette chose, ce gardien, évolue, change, se modifie… et il en fait de même avec son environnement. Il construit, il façonne, il manipule.
Du vide, il extrait la structure. Du noir, il tire les couleurs. De l'immatériel, il invente le tangible.

Son regard projette un rayon d'or partout là où il passe, et il déverse des torrents d'énergie, il dresse un mur, un autel, il creuse une salle, il sculpte une statue, il éloigne les flux magique et les replace, il annule la destruction et embellit la création.

L'antichambre et ses alentours s'emplissent d'une fraicheur plus que bienvenue, ils se subliment, se transfigurent sous l'effet du rayon de lumière d'or de ce visage indéfinissable.

Et c'est ainsi que s'achève cette grande histoire. Désormais, tout est rentré dans l'ordre, tout est redevenu comme avant.

Tout… ou presque. Car si la sphère et l'antichambre de la vie ont bel et bien été guéries, la Valkyrie qui s'est sacrifiée pour ce Royaume… est toujours allongée sur un autel, plus calme que la mort… Et le gardien, créature qui respire la vie, et n'a pas sa place en ce monde, est toujours planté au beau milieu de cet endroit.

Il demeure en l'antichambre, et continue de se métamorphoser, moins visiblement, mais assurément. Il possède désormais un visage très marqué, doré, aux yeux lumineux, aux traits fins, androgynes. L'air est sa chevelure et le feu est son bras. La terre est son cœur et l'eau son sang. C'est un être doté d'une forme véritable à présent, caractéristique, unique, mais une forme réelle, des limites spatiales clairement définies.

Et le rayon de lumière qui parcourt les lieux continue d'alimenter un flux de création constant, où viennent s'ajouter des gestes, comme un chef d'orchestre régissant la plus étrange formation qui soit.

Les lieux continuent de changer, d'évoluer, pendant un temps.
La transfiguration se poursuit, ici et ailleurs, partout à la fois. Comme un champs de fleurs qui pousserait d'un coup et dont chaque pétale s'épanouirait en même temps que les autres… Comme si le Royaume tout entier s'éveillait d'un long sommeil.

Beaucoup de détails sont ajoutés, mais beaucoup de vide demeure, l'encombrement n'aidant pas la pureté et la simplicité… bien que la beauté possède sa propre complexité. Un flou artistique s'écoule sur cet imaginaire rendu à la réalité, du moins cette réalité. Et le Gardien, ayant abondamment semé les graines du changement, semble en avoir terminé.

Il observe sa création, qui ne lui appartient finalement pas exclusivement, fleurir et se développer doucement, s'étaler longuement.

Il reporte son attention sur les âmes, et observe de ses yeux d'or la danse de celles qui s'en vont tenter de réveiller Lilith. Il demeure immobile, patiente, son aura d'or blanc inondant trois âmes, les plongeant dans sa majesté.
Le Gardien entame alors son ultime voyage, les entrainant à sa suite, bien que l'une d'entre elles semble connaître la destination et s'y rendre d'elle même, tentant même d'y attirer la créature polymorphe.

Le Gardien s'engouffre dans la Chambre des Valkyries.

Une fois cet invité exceptionnel disparu à l'intérieur, l'antichambre reste telle qu'elle est désormais, telle qu'elle fut reconstruite, mais habitée seulement par ses légitimes résidents, les Chevaliers du Trépas, ainsi que par ses hôtes de tous horizons, les âmes des défunts de l'Odyssée.

Dans la Chambre des Valkyries, l'attention générale est entièrement tournée vers Lilith, car tous ont décidé de faire ce qu'ils pouvaient pour lui redonner vie, ou lui redonner ce qui l'animait, avant que la catastrophe ne s'abatte sur elle.

Tout autour de l'autel, le plus proche possible de la Valkyrie, chacun essayant à sa manière d'entrer en contact avec elle (en lui saisissant la main, le pied, voire en l'embrassant!), ils se concentrent, ils échangent, ils essayent de déterminer quel serait le meilleur moyen de la ramener.

C'est alors que quatre entités apparaissent dans la Chambre, dont trois âmes. La dernière entité est ce qui ressemble à… une femme. Ou un homme. Un être. Un être de vapeur et de vent, un être fertile et ardent.

Les traits de son visage sont sans âge, sans sexe, sans race, et pourtant il leur ressemble, à tous. Et tout cet être paraît façonné dans le matériau le plus pur et le plus intangible, il est auréolé d'or et d'argent, ses yeux renvoient des éclats de lumière qui les baigne d'une vie et d'une volonté sans pareille, d'un désir puissant, d'un rêve infini et profond, dont leurs doigts spirituels ne peuvent qu'effleurer la surface…

Les lèvres fines et pulpeuses, sensuelles et innocentes, masculines et féminines, se mettent alors à remuer.
Et une voix s'en échappe. Ce n'est plus cette voix grondante et bizarre employée par le gardien dans ses premiers temps, mais une voix bien plus proche des âmes, une voix extrêmement familière, bien que différente.
C'est la voix de l'enfance, la voix d'une petite fille qui pourrait bien être un petit garçon.
Une voix qui renferme de la douceur, de la joie, de la moquerie, de l'ironie, de la condescendance, de l'orgueil, de l'émerveillement, de la lassitude, de l'humour, de la tristesse, de l'égocentrisme, de l'altruisme, de la folie, de la sagesse…

Une voix qui renferme mille paradoxes, tout en conservant cette pureté simple, cette essence fragile, celle de la vie, de la jeunesse, du commencement.

“Mes amis.”

Deux simples mots, qui en disent pourtant bien plus long qu'un discours tortueux et complexe, et qui frappent par leur dépouillement qui n'est pas austère, par leur justesse et leur universalité. Mais ces deux notes qui sont un chant d'outremonde, ne sont pourtant que le début d'une chanson, dont le refrain est la vie. Et après un silence, la musique reprend:

“Nous avons beaucoup rêvé ensemble. A présent, il est temps que nos rêves soient à nouveau séparés. Je suis le Gardien du Sanctuaire de la Vie, mais je suis aussi un enfant. Je ne suis pas comme vous. Nous rêvons, tous, mais différemment. Mes rêves habitent leurs rêves qui sont la vie… Grâce à vous, je les ramène chez eux. Pour vous remercier, je pourrais accomplir votre rêve… Lilith. C'est un rêve magnifique. Mais qu'en est-il de SON rêve? Ne le lui enlevez pas… embellissez-le… vivez-le. Vous êtes son rêve. Elle est heureuse. Soyez-le.”

La lueur dorée qui baigne l'ensemble de la chambre se concentre alors, devenant faisceau, devenant fils, fibre, rayons. Alors que les âmes s'affairent, qu'elles tentent de la ramener, de lui offrir leur aide, de la soigner, alors qu'elles lui offrent un bouquet de lys…
Lilith se retrouve frappée par l'or, et son corps illusoire commence à fondre, à fondre comme de l'or. Il s'estompe, il se dissipe… Mais il n'est pas le seul.

Les corps illusoires des âmes amenées par le Gardien, eux aussi, s'effondrent sur eux mêmes, comme consumés par la lumière, paradoxalement dissouts par la vie.

Le gardien, plus “humain” que jamais, rejette la tête en arrière et sourit. Une mince ligne est en train de se former au dessus de lui, une sorte de faille, de déchirure qui s'étire, s'étend, s'ouvre… et prend la forme d'un gigantesque miroir, une vitre qui renvoie l'image des âmes et pourtant, laisse filtrer l'au-delà… ou plutôt l'au-dedans. La Vie, oui, la Vie : c'est ce qu'on y trouve.
Ce miroir est une fenêtre ouverte sur un lieu étrange, regorgeant de faune et de flore, une jungle drue et touffue où volent libellules énormes et où ruisselle l'eau de pluie. Théâtre chaotique d'une attirance manifeste entre tous les êtres vivants, le décor qu'ils aperçoivent est une luxuriance d'animaux et de végétaux, de prédateurs et de proies, d'hôtes et de parasites, un écosystème basé sur une harmonie puissante que rien ne semble pouvoir perturber.

Le gardien s'y jette alors, s'y élève, y pénètre… Tandis que les trois âmes rêveuses, ainsi que la Valkyrie, disparaissent peu à peu, juste en dessous de lui, le gardien se disperse dans son monde, dans son rêve, dans la vie.

C'est un coquillage qui s'ouvre, un oiseau qui déploie ses ailes… C'est un arbre et une femme entrelacés… C'est un phénix, qui s'extirpe, qui s'envole, qui renaît de ses cendres et foudroie de ses songes ardents un monde merveilleux où tous les éléments cohabitent.

Le Gardien s'éloigne, s'enfuit, s'efface. Il laisse les âmes reprendre le cours de leur existence, il les laisse veiller sur ce monde là, pendant qu'il rejoint le sien, y emportant ses rêves… Le feu, la terre, l'eau et le ciel…

Et la voix de l'enfance résonne encore, alors qu'il ne demeure plus qu'une petite fille:

“Ils vous doivent tant, et moi aussi. J'emporte un peu de vous là bas. Je ne vous oublierai pas. Promis.”

Un sourire radieux et deux larmes d'or… et l'enfant-gardien disparait, et le sanctuaire de la vie se referme.

Ne restent dans cette Chambre que les auteurs hébétés de cette grande page de l'histoire du Royaume des Morts… Cette page dont le point final vient d'être tracé, et qu'il ne reste plus qu'à tourner, afin d'en écrire une nouvelle.

background/histoires/transfiguration_du_royaume_des_morts.txt · Dernière modification : 18/08/2022 08:07 de 127.0.0.1
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